l’équivalent d’un temps plein de travail… sans la rémunération qui va avec.
Bénévoles aux JO 2024 : un terrain semé d’embauches à temps plein
À cent jours du début de la compétition, une partie des 45 000 « volontaires » des Jeux olympiques de Paris déchantent. Ils racontent la grande désorganisation et les plannings chargés. Pour les opposants, il s’agit de la plus grande campagne de « salariat déguisé » qu’ait connue la France.
bob des bénévoles des Jeux olympiques ne lui plaît même pas. « Trop de couleurs, c’est un peu moche. On aurait préféré une casquette, c’est plus chouette. » Il le mettra le temps des JO, puis le refilera à ses petits-enfants. Au départ, Hamid*, 77 ans, dont près de la moitié à faire des marathons, était ravi de participer en tant que volontaire aux Jeux. « À mon âge, c’est sûr, j’en verrai pas d’autres », assure-t-il. Sauf que plus l’échéance se rapproche, plus le commercial à la retraite s’inquiète de la grande désorganisation du comité d’organisation.
À cent jours du début de la compétition, le retraité n’a toujours pas reçu son planning. Les bénévoles qui l’ont reçu, eux, ne sont pas plus ravis : ils décrivent auprès de Mediapart des journées à rallonge, l’équivalent d’un temps plein de travail… sans la rémunération qui va avec.
Les JO 2024 s’inscrivent dans une longue tradition du travail gratuit. D’édition en édition, les Jeux s’appuient sur des petites mains non rémunérées, au nom de la passion du sport. Et la démarche rencontre un franc succès : alors que le Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) cherchait à recruter 45 000 volontaires pour l’édition parisienne, ce sont plus de 300 000 candidat·es qui avaient postulé avant mai 2023.
« Le plus grand programme de volontaires jamais réalisé en France », se réjouit régulièrement Tony Estanguet, le président du Cojo. Lui est payé, plutôt grassement, et avec un montage juridique si spécifique que le Parquet national financier a ouvert une enquête sur les conditions de sa rémunération.
LES JO DE PARIS 2024 SOUS ENQUÊTES
Bénévoles aux JO 2024 : un terrain semé d’embauches à temps plein
À cent jours du début de la compétition, une partie des 45 000 « volontaires » des Jeux olympiques de Paris déchantent. Ils racontent la grande désorganisation et les plannings chargés. Pour les opposants, il s’agit de la plus grande campagne de « salariat déguisé » qu’ait connue la France.
bob des bénévoles des Jeux olympiques ne lui plaît même pas. « Trop de couleurs, c’est un peu moche. On aurait préféré une casquette, c’est plus chouette. » Il le mettra le temps des JO, puis le refilera à ses petits-enfants. Au départ, Hamid*, 77 ans, dont près de la moitié à faire des marathons, était ravi de participer en tant que volontaire aux Jeux. « À mon âge, c’est sûr, j’en verrai pas d’autres », assure-t-il. Sauf que plus l’échéance se rapproche, plus le commercial à la retraite s’inquiète de la grande désorganisation du comité d’organisation.
À cent jours du début de la compétition, le retraité n’a toujours pas reçu son planning. Les bénévoles qui l’ont reçu, eux, ne sont pas plus ravis : ils décrivent auprès de Mediapart des journées à rallonge, l’équivalent d’un temps plein de travail… sans la rémunération qui va avec.
Les JO 2024 s’inscrivent dans une longue tradition du travail gratuit. D’édition en édition, les Jeux s’appuient sur des petites mains non rémunérées, au nom de la passion du sport. Et la démarche rencontre un franc succès : alors que le Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) cherchait à recruter 45 000 volontaires pour l’édition parisienne, ce sont plus de 300 000 candidat·es qui avaient postulé avant mai 2023.
« Le plus grand programme de volontaires jamais réalisé en France », se réjouit régulièrement Tony Estanguet, le président du Cojo. Lui est payé, plutôt grassement, et avec un montage juridique si spécifique que le Parquet national financier a ouvert une enquête sur les conditions de sa rémunération.
De leur côté, des milliers de bénévoles rempliront des missions qui correspondent à des emplois : chauffeur, statisticien, gestionnaire d’équipement, de zones de stockage, traitement des demandes d’accréditation… Certaines de ses missions se feront même au bénéfice d’entreprises privées, comme le chronométreur officiel des Jeux, l’horloger suisse Omega.
Alors même que quatre types de mission ont été proposés, « sous la supervision des équipes d’Omega », le comité assure auprès de Mediapart que « l’entreprise n’aura pas de volontaires “à ses services” » puisque « les missions de volontariat sont effectuées dans le cadre de l’organisation et de la bonne tenue des Jeux ». C’est donc en mobilisant des bénévoles qu’Omega s’affichera comme le chronométreur officiel des Jeux, jouissant à cet égard d’une campagne publicitaire à moindres frais.
Cinquante-six heures en huit jours
Les bénévoles effectueront des semaines à temps plein, sans aucune compensation d’aucune sorte, pas même un billet gratuit ou à prix réduit pour voir des compétitions. « La première condition pour être volontaire, c’est d’être volontaire, se défend le comité d’organisation. Candidater au programme des volontaires n’est pas une obligation, c’est une opportunité supplémentaire de vivre les Jeux en y participant directement. »
Celles et ceux venus de loin devront aussi se débrouiller pour se loger, à l’heure où le prix des nuits parisiennes atteindra les cimes. Peu importe, les Jeux indiquent que « par principe, Paris 2024 ne prend pas en charge les éventuels frais d’hébergement des volontaires ». Auprès de Mediapart, le comité insiste : « Ce n’est pas la norme dans ce type de missions. »
Les opposant·es à la tenue des Jeux assurent qu’il ne s’agit là que d’une « campagne de travail dissimulé » à un niveau « industriel ». Ils insistent sur le fait que la compétition s’installe notamment en Seine-Saint-Denis où le taux de chômage est déjà important, culminant, au premier trimestre 2023, à 9,8 %, soit presque 3 % au-dessus de la moyenne nationale.
Alain, jeune agent public avec un fort accent du Sud, ne fait pas du tout partie de ces militants anti-JO mais, au vu des conditions du bénévolat, il pourrait bien le devenir. Au départ, c’est parce que la flamme passe par son territoire, labellisé pour l’occasion « terre de Jeux », que le jeune homme s’est dit que ça pourrait être « sympa » de devenir bénévole. Comme les autres, il est passé par « un très long processus » s’apparentant à s’y méprendre à un processus d’embauche. Il a été sélectionné, il logera chez une amie parisienne le temps de la compétition et avait hâte d’en faire partie.
Le comité d’organisation avait annoncé au sudiste une mission « assez alléchante » : réception des athlètes au Stade de France. Il était, pour ce poste, sur une liste d’attente. Finalement, Alain a été « titularisé », fin 2023, sur un tout autre poste : il indiquera aux perdus le chemin pour se rendre jusqu’aux compétitions, à la gare du Nord à Paris, pour les Jeux olympiques, et à Villepinte (Seine-Saint-Denis), pour les Jeux paralympiques. Officiellement, il sera « équipier transports ». « C’est quand même beaucoup moins sexy que ce qu’on m’avait annoncé, râle Alain. Si je refuse, je suis radié du programme des volontaires. Donc c’est soit ça, soit rien. »
Interrogé sur la situation d’Alain et des autres qui sont dans son cas, Paris 2024 assure que cela arrive « parfois » qu’il y ait un décalage entre la mission proposée et celle finalement accordée, mais que « cela leur permet de devenir volontaire et donc de vivre les Jeux de l’intérieur, ce qui ne sera pas possible pour l’ensemble des bénévoles sur liste d’attente ».
Et ce qui est encore moins « sympa », ce sont les horaires auxquels on lui demande d’être en poste. Pour les Jeux paralympiques, il a reçu son planning il y a quelques jours. « Ce sont des créneaux de 13 heures à 20 heures ou de 7 heures à 14 heures. Le dernier jour, je travaille de 10 h 30 à 17 h 30. En tout, ils me font travailler cinquante-six heures en huit jours, avec un jour de repos. » Un temps plein, sur plus d’une semaine. « Finalement, je suis d’accord avec ceux qui disent que c’est du travail dissimulé. »
Sauf qu’Alain a un emploi et n’est pas certain de pouvoir s’organiser pour travailler autant, gratuitement, pour les Jeux olympiques. Il proposera ses services sur deux ou trois jours, mais n’est pas sûr de garder sa place de titulaire s’il impose ses conditions. Et pas sûr que le comité d’organisation accepte.
Interrogé sur le sujet, Paris 2024 se montre intransigeant : « Les volontaires se sont engagés, lors de leur candidature, à être disponibles sur les périodes sur lesquelles ils sont désormais mobilisés. Les amplitudes horaires maximales de mobilisation étaient accessibles dans la charte... Cette adhésion ne fait pas obstacle au droit des volontaires de retirer leur engagement à tout moment, pour quelque raison que ce soit, y compris pendant la durée de la mission au titre de laquelle ils apportent leur concours. »
Octave est aussi volontaire pour les JO 2024. Comme les autres bénévoles, il a reçu un planning intense : « On m’a prévenu à la mi-avril que je devais être dispo en mai pour une semaine de test, c’est très tardif. Le premier jour, je fais du 7 heures-15 heures. Le lendemain, du 14 heures-21 heures. Ensuite, 14 heures-22 heures… C’est pas des horaires de bénévolat, ça. Je ne sais pas si je vais pouvoir me débrouiller avec mon employeur pour y aller. » Il n’a pas encore reçu son planning pour les Jeux mais craint déjà que ce soit du même acabit. « Je savais que ça allait être du travail mais je ne pensais pas qu’ils allaient envoyer des plannings si indécents. »
De son côté, le comité s’affiche serein : « Nous avons mis en place une charte du volontariat olympique et paralympique, elle a été soumise aux services compétents des ministères et aux partenaires sociaux du comité de la charte sociale. Dans ce cadre, les syndicats ont pu intervenir pour délimiter clairement ce qui relève du travail salarié et ce qui n’en relève pas. »
Interrogé sur le nombre d’heures demandé, en moyenne, aux bénévoles, Paris 2024 ne répond pas mais précise que la charte prévoit des plafonds. Les missions ne peuvent pas durer moins de cinq heures et plus de huit heures, à part pour certaines qui peuvent aller jusqu’à dix heures.
Par ailleurs, les missions ne peuvent commencer avant 5 heures du matin et finir après 2 heures, une règle qui connaît elle aussi des exceptions, « très rares », assure le comité, et qui donnent droit à « un jour franc de récupération après mobilisation ». Enfin, les bénévoles devront bénéficier de onze heures consécutives de repos minimum après une journée de mobilisation... Exactement comme dans le droit du travail.
Pas de quoi rassurer totalement Marc, comédien parisien. Et pourtant, le sexagénaire est plutôt bonne pâte, quand on le lui fait remarquer, il acquiesce dans un rire. Il veut bien s’adapter, être souple, mais, comme les autres, l’annonce de son planning a jeté un froid entre lui et les Jeux auxquels il a si hâte de participer.
Marc sera chauffeur, et ça lui va plutôt bien, il aime bien conduire. Ce qui lui convient un peu moins, ce sont les horaires. « On n’est pas loin du salariat, assure-t-il dans un rire. Cinq jours de boulot, deux jours de repos, on dirait vraiment un planning pour un job. Le premier jour, je travaille de 10 heures à 18 heures, avec une coupure déjeuner. Le deuxième jour, c’est 6 heures-14 heures. Puis après, c’est systématiquement huit heures par jour. Est-ce qu’on va vraiment me demander de travailler toutes ces heures-là ? » Pas de quoi le décourager : « De toute façon, j’avais bloqué cette période-là. »
À cent jours du début, toujours beaucoup d’incertitudes
Pendant les Jeux olympiques, Hamid, lui, sera affecté aux accréditations. De qui ? il ne sait pas. Quels jours exactement et à quels horaires ? il ne sait pas non plus, il n’a pas reçu son planning. « Les volontaires reçoivent leurs créneaux de mobilisation depuis le début du mois d’avril, répond le comité, interrogé par Mediapart. Les envois seront finalisés au cours des prochaines semaines. »
Puis, pendant les Jeux paralympiques, il se muera en chauffeur. Pour qui ? des athlètes, des officiels ? Avec quel niveau de sécurité ? là non plus, il ne sait pas. En fait, Hamid ne sait pas grand-chose. Il ne sait pas non plus s’il pourra garer sa voiture personnelle quand il viendra prendre son service en tant que chauffeur. « Je sais que certains services commencent à 6 heures, d’autres terminent à minuit… De là où j’habite, je ne peux pas dépendre des transports publics à ces horaires-là. Il faut absolument que je puisse venir en voiture. J’ai demandé il y a trois semaines s’il y aurait un parking pour nous, on ne m’a pas répondu. »
Marc s’est posé les mêmes questions : parfois, il devra prendre son service de chauffeur à 6 heures du matin ; d’autres fois, il finira à 1 h 30 du matin, et n’est pas sûr que les transports publics pourront toujours l’amener à bon port, et à l’heure, dans la nuit. « On nous a dit qu’on nous donnait un ticket de métro mais bon… pas sûr qu’à ces heures-là j’arriverai à me déplacer en transport. »
La désorganisation atteint parfois des sommets quand le comité envoie, à plusieurs reprises, Hamid chez le photographe. « Ils m’ont demandé une photo d’identité, je suis allé la faire et j’en ai profité pour faire celle de ma nouvelle carte d’identité. Ça n’a pas loupé … L’administration a accepté les photos pour ma carte d’identité, mais pas les Jeux olympiques. Vous vous rendez compte ? Photo refusée, photo refusée. Je l’ai recadrée, photo acceptée. Puis quelques jours après, par mail, on me dit finalement : photo refusée. Alors, je suis allé de nouveau chez le photographe. »
Mais le sportif est clément, il se dit que le centre des volontaires doit être « débordé ». Selon Paris 2024, l’équipe dédiée est composée de onze salariés, auxquels s’ajoutent « trente-quatre responsables, des volontaires [qui] ont pris leurs fonctions sur les futurs sites des Jeux et interagissent déjà avec les volontaires concernant notamment leurs plannings ».
La convention des volontaires, une pub géante pour Decathlon
Samedi 23 mars 2024, Paris 2024 a organisé une grande convention des volontaires où se sont pressés plus de 20 000 bénévoles venus de toute la France. De cette grande rencontre qui s’est déroulée à Paris La Défense Arena, les bénévoles interrogés ne retiennent que la couleur des tenues officielles conçues par l’entreprise de grande distribution Decathlon.
« Je m’attendais à avoir un peu plus de détails sur nos missions, souffle Alain. C’était une grand-messe d’autosatisfaction. Moi je m’en foutais de l’uniforme, je comprends qu’ils aient voulu forger un sentiment d’appartenance par l’habit, mais au-delà de ça, on n’a rien appris. » De la musique forte, des vidéos entraînantes, des discours pour motiver... devant un parterre de bénévoles, dont certains sont restés sceptiques.
« On aurait dit une réunion d’entreprise, s’amuse Hamid. Ils nous ont beaucoup plus parlé de Decathlon et de la tenue officielle que de l’organisation précise des missions. » « Il y avait des gens de toutes origines, de tous âges, ça c’est chouette, se réjouit Marc, le comédien parisien. Mais à part ça, c’était vraiment une opération de com’. Pourquoi ils ont fait venir les gens de Marseille, de Lyon, de Bordeaux pour ça ? »
À l’extérieur, une poignée de syndicalistes de la CGT, de Solidaires, de la CNT et des membres du collectif Saccage 2024 distribuent un tract sur lequel on peut lire : « Nous voyons dans le volontariat des Jeux olympiques les indices d’une relation salariée, caractérisée par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un organisme qui l’organise de manière unilatérale, qui va vous donner des consignes, contrôler votre travail et vous sanctionner le cas échéant… L’organisation des Jeux olympiques serait tout simplement impossible sans le travail gratuit pour lequel vous avez été recrutés. »
Pour avoir distribué ce tract, la quinzaine de militants a reçu la visite de la police. Dans un communiqué unitaire, ils dénoncent : « Les policiers ont d’abord pris leurs informations puis les ont interpellés de nouveau pour leur demander de partir et d’enlever leurs chasubles… Le gouvernement prétend que les JOP sont une fête populaire mais s’en sert pour bafouer nos droits fondamentaux, à commencer par celui de la libre expression. »
Malgré tout ça, Marc reste motivé : « C’est le paradoxe. Ils ont raison, c’est vrai que ça ressemble à du salariat mais je veux que les JO se passent le mieux possible quand même. Tout le “JO bashing”, les critiques virulentes, les Parisiens mal embouchés qui se plaignent depuis un an et sans parler de tout le racisme qu’a subi Aya Nakamura… Tout ça me gonfle profondément, alors je veux participer à ce que ça se passe bien. »
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