La Martinique, terre d'aviateurs

Julien Philipakis j.philipakis@agmedias.fr
Valérie de Lépine Julien (deuxième à gauche), Éric Monlouis (au centre) avec les étudiants pilotes.
Valérie de Lépine Julien (deuxième à gauche), Éric Monlouis (au centre) avec les étudiants pilotes. • JULIEN PHILIPAKIS

L'aéroport Martinique Aimé-Césaire a rendu hommage, mardi dernier, à Georges Raveneau et Édouard Desroses, pionniers de l'aviation en Martinique, par la pose de plaques commémoratives sur la Place des Aviateurs. Les pilotes d'aujourd'hui ont également pu raconter leur passion et leur expérience aux aviateurs de demain. 

Plus qu'un hommage à des figures de l'histoire de l'aviation en Martinique, c'est le métier même de pilote de ligne qui a été mis à l'honneur mardi soir dernier, en face de l'aéroport, par la Société Aéroport Martinique Aimé-Césaire (SAMAC). L'hommage aux aviateurs d'hier, d'aujourd'hui et de demain s'est décliné par la présentation de parcours d'exception. À savoir ceux des pionniers de l'aviation en Martinique, Édouard Desroses et Georges Raveneau, avec la pose de plaques commémoratives sur la Place des Aviateurs. La trajectoire des pilotes d'aujourd'hui a ensuite été mise en exergue avec les prises de parole de pilotes en exercice, comme Valérie de Lépine Julien et Hugues Raveneau, ainsi que du jeune retraité Éric Monlouis. Ils ont partagé leur passion et leur expérience avec les aviateurs de demain. La veuve de Georges Raveneau, Maryvone Raveneau, accompagnée de ses deux fils, mais aussi de nombreux pilotes et leurs familles, se sont déplacés pour cet événement émouvant. 

Georges Raveneau, premier pilote de ligne antillais

Retour tout d'abord sur le parcours du commandant de bord Georges Raveneau. Le Samaritain, né le 4 janvier 1949, obtient son brevet de pilote privé à l'aéroclub de la Martinique à 18 ans. Il intègre la prestigieuse école nationale de l'aviation civile et devient, en 1972, pilote professionnel de 1ère classe sur Nord 262 à Saint-Yon. Georges Raveneau sillonne le monde aux commandes d'avions mythiques : Fokker 27, DC8, Supper Guppy, Boeing 737, DC10. Sa brillante carrière au sein de compagnies historiques, telles que l'UTA et sa filiale Aéromaritime, lui permet d'être co-pilote, puis chef pilote et enfin commandant de bord. Ce qui fait de lui le premier pilote de ligne antillais. En 1989, il est promu commandant de bord sur un DC10 sur le secteur DOM/Afrique, avant d'être nommé chef instructeur en avril de la même année, avec pour ambition de former de futurs pilotes. Malheureusement, le 19 septembre 1989, le commandant Georges Raveneau, 14 membres d'équipage et 156 passagers sont victimes d'un attentat orchestré par la Libye, à bord du DC10 d'UTA. L'avion a décollé de Brazzaville (Congo) et devait se rendre à Paris. Une bombe, située dans le conteneur des bagages, a explosé, détruisant l'avion en vol. Il n'y a eu aucun survivant. Les corps des 170 passagers, dont 54 Français, sont retrouvés dans le désert du Ténéré au Niger. Le commandant de bord Éric Monlouis n'a pas connu Georges Raveneau mais il sait qu'il était très discret et très impliqué auprès des jeunes. Georges a marqué sa descendance puisque ses deux fils évoluent dans l'aviation. Hugues Raveneau, l'un des fils de Georges, est pilote de ligne depuis 35 ans. « Je ne voulais pas être pilote, je pensais que je n'étais pas capable d'être pilote, je voulais être avocat », confie-t-il. Il a 16 ans quand son père l'inscrit à l'aéroclub de la Martinique. « Après mon premier vol, j'ai vomi et je me suis dit que je détestais ça », raconte Hugues. Les autres vols se passent mieux. Puis le vol de lâcher est la révélation. « Je me suis dit : '' C'est ça que je veux faire '' », avoue-t-il avant d'ajouter : « C'est un métier de passionné. Lorsqu'on est passionné, rien n'est impossible. La Martinique est une terre d'aviation. Nietzsche disait :  '' Devenez qui vous êtes, faites ce que seul vous pouvez faire ''. On va faire tout ce qu'on peut pour transmettre ce métier incroyable. »

« C'est beaucoup d'émotion et de fierté de voir ce que Georges a fait et a pu transmettre, de voir la continuité de ce qu'il a voulu transmettre », a confié, de son côté, Maryvone Raveneau. Elle explique que la volonté de son défunt mari était de donner accès aux Domiens à tous les métiers de l'aviation. Selon Maryvone, il a réussi. En 2015, le terrain de basket de Sainte-Marie est devenu la place Georges-Raveneau.

Édouard Desroses, l'homme volant

Revenons à présent sur la for- midable carrière d'Édouard Desroses, un autre grand pilote martiniquais. Né le 8 décembre 1913 à Sainte-Marie, il entre en 1935 à l'Aéromaritime et participe à l'ouverture de lignes en Afrique francophone. Le 7 juillet de la même année, il inaugure la ligne Cotonou/Niamey. Le Samaritain poursuit une longue carrière en Afrique puis rejoint, en 1946, le réseau des lignes aériennes françaises qui sera absorbé par Air France. Le Martiniquais réceptionne le premier Catalina d'Air France (un avion amphibie). Édouard Desroses ouvrira la ligne Paris - Fort-de-France avec ce même avion à 24 ans. Le 30 décembre 1950, il navigue sur la ligne Antilles, qu'il ne quittera pas, avec le premier avion Constellation puis le premier DC3 en 1952. Édouard Desroses reçoit, en 1962, la médaille de l'aéronautique. Il aura l'honneur le 16 décembre 1964 de poser, pour la première fois sur la piste du Lamentin, le premier Boeing 707 d'Air France. Le titulaire de la légion d'honneur devient officier radio d'Air France. Il décède en 1999. Éric Monlouis a eu l'occasion de le rencontrer et lui rend hommage : « Il faisait Paris - Fort-de-France avec une fréquence extraordinaire. Sa particularité unique était son calme, la façon dont il respirait l'ambiance du cockpit. Il vivait totalement le vol. Sa passion était d'être dans un avion. » Franck Beaufrand, ancien pilote martiniquais, a connu ces deux immenses pilotes. « Ils avaient l'amour de l'aviation. Édouard était très gentil. Ti Georges a beaucoup aidé d'Antillais en leur ouvrant des portes », témoigne ce dernier. D'après Jean-Baptiste Rotsen, 2e adjoint au maire de Sainte-Marie, « la Place des Aviateurs est un lieu d'inspiration qui symbolise tout ce dont la Martinique a besoin ». Il révèle que c'est un moment d'émotion pour lui parce qu'il a connu Édouard Desroses. « C'était un homme extraordinaire très simple. » Jean-Baptiste Rotsen a dévoilé aussi que son frère ainé, pilote de ligne, avait une passion extraordinaire pour Georges Raveneau et Édouard Desroses. 

« Nous nous devons de remettre à l'honneur ces deux pilotes samaritains et de rendre aux deux familles ce qu'elles méritent. C'est un grand moment de l'aviation marqué par la transmission avec la présence des jeunes, qui ne doivent pas hésiter à embrasser la carrière de pilote », souligne Frantz Thodiard, président du directoire de la SAMAC. Ce dernier a annoncé, par ailleurs, que la fin du chantier de l'extension de l'aéroport est prévue fin 2023. 

Éric Monlouis, de chirurgien à pilote de ligne 

Imprégné par le monde de l'aéronautique grâce à son père mécanicien navigant à Air France, Éric Monlouis a hérité de cette passion des avions. Le Foyalais voulait être soit chirurgien, soit pilote de ligne. Il a finalement mené les deux carrières de front pendant de nombreuses années avant de choisir pour de bon la carrière de pilote de ligne. Éric Monlouis a effectué ses études de médecine à Paris, à la Pitié Salpêtrière. En même temps, il préparait les certificats de pilote de ligne théoriques et accumulait les heures de vol. Mais comment a-t-il réussi à faire les deux ? « J'ai beaucoup travaillé. Je suis parvenu à séparer mon cerveau en deux. » Puis est arrivé le moment fatidique du choix. Le Martiniquais était alors chirurgien plastique et de la main à l'hôpital de la Timone à Marseille et il attendait le résultat du concours d'Air France. Pour faire ce choix extrêmement important, Éric Monlouis s'est dit qu'il lui faudrait au moins 8 jours à la montagne afin de réfléchir. Air France l'a informé qu'il avait réussi le concours et le séjour à la montagne a été aussitôt annulé. Après avoir quitté son poste de chirurgien, il est donc devenu pilote de ligne à Air France puis commandant de bord de plusieurs avions, dont le Boeing 777. Le pilote avait aussi d'autres responsabilités au sein de la compagnie, au sol. Il a ainsi pu utiliser son savoir médical et s'est occupé notamment de l'habillement des pilotes, des repas des équipages, des facteurs humains des accidents. Il a eu l'honneur de clôturer le Boeing 737 et de le faire sortir de la flotte, d'être responsable de la division 737 et chef de la division 777. À la retraite depuis un an, l'ancien commandant de bord de 66 ans a désormais pour objectif d'aider et de guider la jeune génération. Voici son message auprès des jeunes : « Je suis une démonstration que tout est possible dans la vie. Si on travaille et qu'on veut vraiment atteindre ses objectifs, on peut y arriver. Le point essentiel est la passion qui vous anime et qui permet de faire des efforts. Il n'y a pas de choses définitives : j'étais en chirurgie et je voulais piloter. On peut toujours faire marche arrière. Le plus important est de faire ce qu'on veut dans la vie. Ça ne tombe pas du ciel, il faut se prendre en main. La passion doit vous conduire à passer les obstacles. » 

Valérie de Lépine Julien, au service des jeunes

En ce qui concerne les pilotes en exercice, nous pouvons nommer les deux Martiniquais de Corsair Francis Crochemar et Anthony Narcisse. Ou encore Valérie de Lépine Julien, pilote de ligne chez Air France depuis trois ans. La Ducossaise de 40 ans est née et a grandi en Martinique jusqu'à ses 19 ans. Son rêve d'être pilote est devenu une réalité (voir son portrait dans notre édition du 28 mars 2022). « C'est juste un bonheur d'exercer un métier qu'on aime. Au lycée, un professeur me disait que je ne serais jamais pilote. Comme quoi, tout est possible, lâche-t-elle avec joie. Tout le monde peut le faire. Tous les enfants sans exception ont un potentiel incroyable. Il faut simplement qu'ils trouvent leur voie, ce pourquoi ils sont doués. Il faut travailler et surtout ne pas abandonner. Dans tous les cas, on en ressort gagnant. Avec du travail, de la détermination, du courage, on y arrive. Il y a toujours des solutions. Ils doivent croire en leurs rêves et oser. » Valérie a réalisé le vol inaugural de l'Airbus A320, baptisé le Diamant, entre Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, le 25 mars 2022. Comme Éric Monlouis et Hugues Raveneau, la pilote veut aider les jeunes. Pour cela, elle a lancé, il y a quelques mois, avec d'autres pilotes d'Air France et des professionnels de l'Agence Spatiale Européenne pour la plupart originaires des Outre-mer, l'association Ailes et Espace. Cette structure, dédiée aux jeunes, propose des journées pédagogiques aux écoliers pour découvrir le milieu aérien et spatial en Martinique et ses métiers au sein de l'école de pilotage CFA aviation, en présence de pilotes et professionnels de l'Agence Spatiale Européenne. À la fin de la cérémonie, Valérie a pu donner de précieux conseils à des jeunes voulant devenir pilote. Elle nous livre pourquoi elle veut soutenir les jeunes et leur partager sa passion : « Je suis une enfant du pays, j'aime mon île. J'ai eu le déclic quand j'ai intégré Air France. J'ai été très bien accueillie par Air France, une société bienveillante avec une formation de qualité. Avec de la bienveillance, on peut faire de belles choses ! » 

Maryvone Raveneau, entourée de ses deux fils, devant la plaque de Georges Raveneau.
Maryvone Raveneau, entourée de ses deux fils, devant la plaque de Georges Raveneau. • Julien Philipakis
« Il n'y a pas de choses définitives : j'étais en chirurgie et je voulais piloter. On peut toujours faire marche arrière », a confié Éric Monlouis.
« Il n'y a pas de choses définitives : j'étais en chirurgie et je voulais piloter. On peut toujours faire marche arrière », a confié Éric Monlouis. • Julien Philipakis
Anciens pilotes, pilotes en exercice, futurs pilotes, enfants, parents et familles étaient réunis pour cet hommage émouvant à la Place des Aviateurs, en face de l'aéroport.
Anciens pilotes, pilotes en exercice, futurs pilotes, enfants, parents et familles étaient réunis pour cet hommage émouvant à la Place des Aviateurs, en face de l'aéroport. • Julien Philipakis
Les plaques commémoratives de Georges Raveneau et d'Édouard Desroses figurent sur la Place des Aviateurs située face à l'aéroport.
Les plaques commémoratives de Georges Raveneau et d'Édouard Desroses figurent sur la Place des Aviateurs située face à l'aéroport. • Julien Philipakis
Édouard Desroses ouvrit la ligne Paris - Fort-de-France avec le premier Catalina d'Air France (un avion amphibie).
Édouard Desroses ouvrit la ligne Paris - Fort-de-France avec le premier Catalina d'Air France (un avion amphibie). • DR
Georges Raveneau fut le premier pilote de ligne antillais
Georges Raveneau fut le premier pilote de ligne antillais • DR
"Les jeunes doivent croire en leurs rêves et oser", lance Valérie de Lépine Julien. 
"Les jeunes doivent croire en leurs rêves et oser", lance Valérie de Lépine Julien.  • Tanguy Salinière




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