100 ans du Gwenn-ha-Du


100 ans du Gwenn-ha-Du : comment le drapeau breton est-il devenu si populaire ?

Né dans les cercles militants en 1923, le drapeau de la Bretagne est devenu un symbole incroyablement fédérateur et populaire. Le magazine « Bretons » revient sur le destin étonnant de cette bannière en noir et blanc, symbole presque parfait de l’identité bretonne, qui fête ses 100 ans.

Le drapeau breton, ici immortalisé dans les monts d’Arrée, fête cette année ses 100 ans.
HERVÉ RONNÉoir en plein écran

« J’ai acheté mon premier drapeau breton pour partir à l’étranger. Maintenant, il est toujours dans la petite poche du haut de mon sac à dos de voyage. Pendant mon année d’études à Prague, j’ai commencé à faire des photos avec. Ensuite, j’en ai fait aux États-Unis, au Mexique, au Canada, en Belgique… » Flora, 24 ans, originaire de Plougasnou dans le Finistère, vient de terminer son cursus universitaire en sciences politiques.

Son parcours, c’est celui de milliers de jeunes Bretonnes et Bretons. Des études, oui. Des voyages, bien sûr. Mais toujours le Gwenn-ha-Du dans la poche ! Et avec des occasions de le brandir aux quatre coins de la planète : « Je me suis retrouvée avec des Bretons un peu partout, et c’était drôle de faire une photo avec eux et le drapeau. C’était plus drôle que d’avoir le drapeau français, qui a une connotation un peu nationaliste. C’est un drapeau que tout le monde connaît. »

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« Et puis cela amène plein de petites blagues autour, les gens le voient et demandent : « T’es d’où ? », « Finistère nord », « Ah, moi, je suis de Rennes », etc. Ça fait des conversations assez fun. » Et Flora l’affirme même : « C’est un drapeau qui est dans la pop culture ! Il a un côté bon enfant, mais, pour moi, il n’y a pas de revendication politique. »

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Au Qatar, en festival, dans l’espace…

Car c’est un fait. Le drapeau breton, qu’on appelle Gwenn-ha-Du (blanc et noir), est désormais hyper-populaire. Pas un festival, pas une manif de Gilets jaunes ou de syndicalistes, pas une compétition internationale, où on ne voit flotter ses couleurs. C’en est presque devenu une blague : alors, les Bretons auront-ils réussi à faire pénétrer leur emblème dans un stade du Qatar ? (La réponse est oui.) Qui a hissé un Gwenn-ha-Du clandestinement sur la mairie de Rouen en mai dernier ? (Là, on ne sait pas.)

Sur Twitter, un internaute s’interroge : « Un drapeau breton dans l’espace, c’est pour quand ? » C’est déjà fait, bien sûr, puisqu’il faisait partie du paquetage du spationaute Jean-Loup Chrétien dans les années 1980…

D’ailleurs, le Gwenn-ha-Du a sa mention dans le Guinness Book des records, parce que des passionnés se sont mis en tête de réaliser le plus grand drapeau breton du monde. Ce sont les ateliers Le Mée, à Saint-Grégoire, près de Rennes, qui ont conçu cette bannière de 1 200 m², qui a été hissée lors d’un festival dans le Finistère mais aussi plus récemment devant le château des ducs de Bretagne à Nantes. Son patron, Vincent de Lambert, n’en est pas peu fier. « Le Gwenn-ha-Du, c’est un symbole très fort de l’identité bretonne. Mais ce n’est pas politique ! »

« Un emblème moderne »

Pas politique, le Gwenn-ha-Du ? Au départ, pourtant, c’est bien dans le milieu des militants bretons qu’il naît. Nous sommes dans les années 1920. Un jeune architecte, Morvan Marchal, dessine cette bannière rayée. Il s’inspire du drapeau américain et du blason de la ville de Rennes pour élaborer en 1923 un dessin qui représente la Bretagne. « Ce drapeau n’a jamais voulu être un drapeau politique mais un emblème moderne de la Bretagne », précisera-t-il par la suite.

Lui-même est membre du Parti autonomiste breton, qui désigne le Gwenn-ha-Du comme « drapeau national de la Bretagne » en 1927. Deux ans plus tôt déjà, il était affiché dans la section dévolue au mouvement artistique des Seiz Breur à l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris.

Populaire dans les cercles celtiques

Au départ, le Gwenn-ha-Du ne fait d’ailleurs pas l’unanimité. Certains lui reprochent cet aspect « moderne ». Ils lui préfèrent les anciennes oriflammes de la Bretagne, la croix noire sur fond blanc (Kroaz du), dont l’utilisation est attestée dès le XVe siècle, ou bien simplement l’hermine, apparue sur les armoiries ducales au XIIIe siècle. Mais leurs arguments sont vite balayés par le succès que remporte le Gwenn-ha-Du, notamment parmi les cercles celtiques.

La compromission d’une partie du mouvement breton avec l’occupant allemand rend difficile l’utilisation du drapeau dans l’après-guerre. Il faut attendre les années 1960 pour le voir réapparaître en force. Et cette fois, c’est en dehors des partis politiques qu’il essaime. Il se débarrasse alors de son ancrage nationaliste.

Pour la première fois, des Gwenn-ha-Du apparaissent dans la foule en liesse lors de la victoire du Stade Rennais en Coupe de France en 1965. | MICHALOWSKI SIGISMOND – COLLECTION MUSÉE DE BRETAGNE

Le tournant de la grève du Joint Français

Plusieurs dates clés jalonnent la route du Gwenn-ha-Du vers la popularité qu’on lui connaît aujourd’hui. Parmi elles, 1965 : cette année-là, le Stade Rennais remporte la Coupe de France de football. C’est la liesse en ville. Et dans cette mer rouge et noir, de nombreux Gwenn-ha-Du flottent au vent. Ensuite, la Bretagne s’emporte dans le bouillonnement contestataire et social des années 1970« En Mai 68, on voit encore peu de drapeaux », raconte le sociologue Ronan Le Coadic. Le tournant a lieu lors de la grève à l’usine du Joint Français, à Saint-Brieuc, en 1972.

« C’était une grève particulière, extrêmement soutenue par la population : les agriculteurs apportaient à manger, les municipalités aidaient également, et les chanteurs bretons ont organisé des concerts de soutien. Ce conflit a pris une dimension bretonne par le soutien de la population. Et les grévistes ont défilé dans les rues de Saint-Brieuc avec le Gwenn-ha-Du, souvent agrémenté d’une flamme rouge. À partir de là, le Gwenn-ha-Du n’est plus le drapeau d’une minorité militante de tendance nationaliste ou autonomiste. Une partie du peuple breton dans sa composante sociale se l’approprie. »

« Festif, solidaire, combatif »

Dès lors, le drapeau apparaît dans toutes les manifestations. Et finit par quitter le champ de la contestation pour s’étendre à toute la société : la bannière noir et blanc n’appartient plus désormais à un camp ou à un parti. Elle devient l’emblème de la Bretagne dans son ensemble. « La population s’est approprié le drapeau comme symbole, non pas d’une démarche politique, mais de l’appartenance à une culture sociétale, à un groupe social qui partage un certain nombre de valeurs et de comportements. »

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Le sociologue Ronan Le Coadic estime que le Gwenn-ha-Du est devenu populaire à partir de la grève du Joint Français, en 1972. | EMMANUEL PAIN / BRETONS

Les Bretons ont adopté le drapeau. Et en ont fait un symbole qui leur ressemble. « On va y retrouver ce qui caractérise cette culture sociétale bretonne : le côté festif, solidaire, combatif. Mais également l’aspect voyageur, la volonté de montrer que les Bretons sont partout. Beaucoup de Bretons, contents d’arriver dans un endroit improbable, sortent leur Gwenn-ha-Du ! »

Polémique à Saint-Nazaire

Dernier jalon de l’histoire du Gwenn-ha-Du : 2009, et la mise en circulation des nouvelles plaques minéralogiques. Au lieu du logo de la Région – ce qui se fait ailleurs –, en Bretagne, c’est le Gwenn-ha-Du qui est choisi pour les habiller. Alors qu’il avait déjà conquis les façades de nombreux hôtels de ville, c’est désormais l’État qui lui reconnaît une forme de légitimité.

Consensuel, le Gwenn-ha- Du ? Complètement dépolitisé aujourd’hui ? La réponse n’est pas si simple. En tout cas, pas partout. À Saint-Nazaire, par exemple, où le conseil municipal a été le témoin en décembre dernier d’une scène qui peut paraître surréaliste, voire pleine de mauvaise foi. L’objet du débat ? Une pétition, réunissant 2 500 signatures, qui demandait l’installation d’un Gwenn-ha-Du devant la mairie. Saint-Nazaire est historiquement bretonne, impossible de le nier. Afficher ce drapeau pourrait sembler logique.

Pourtant, la réponse des élus de la majorité est « non » . Déployant des arguments fumeux et incultes, l’adjointe Maribel Létang-Martin explique ainsi son opposition à ce drapeau qui représenterait « la Bretagne ducale opposée à la Bretagne républicaine » et poursuit en citant hasardeusement Victor Hugo : « Apposer ce drapeau-là sur le fronton de la mairie serait une erreur parce que les mairies représentent l’endroit où tous les citoyens, à égalité de droit, ont droit de cité. »

« À Nantes, c’est une évidence »

À Nantes, le débat est désormais tranché. Depuis deux ans, le Gwenn-ha-Du flotte devant l’hôtel de ville. Une « première victoire », pour Florian Le Teuff, adjoint aux questions bretonnes, qui avait porté cette revendication pendant la campagne municipale. « C’était une demande citoyenne récurrente depuis plusieurs décennies. Le pavoisement a eu lieu en décembre 2020, avec un retentissement médiatique et un engouement populaire qui a étonné les autres élus ! »

Florian Le Teuff, adjoint à la mairie de Nantes : « Le Gwenn-ha-Du renvoie à des valeurs précieuses ». | EMMANUEL PAIN / BRETONS

« Dans les jours qui ont suivi, pas mal de Nantais venaient se prendre en photo devant. On a bien vu que c’était quelque chose qui rassemblait toutes les générations, toutes les catégories sociales. Tous ceux qui essayaient de le restreindre à un symbole de repli ont été contredits par cette foule bigarrée qui s’est donné rendez-vous, poursuit Florian Le TeuffC’est un symbole qui n’enlève rien à personne. Par contre, il provoque de l’émotion, de la fierté, des choses dont on a bien besoin dans cette époque compliquée. »

« C’est un drapeau qui renvoie à des valeurs précieuses : le goût de la convivialité, de l’échange, de la différence. Là où il est génial, c’est que le Gwenn-ha-Du parvient à signifier l’appartenance à un territoire singulier, et en même temps l’ouverture sur le monde dans sa plus grande diversité. Il n’y a pas beaucoup de drapeaux qui peuvent se prévaloir de tout ça ! C’est un drapeau très fort car fédérateur, populaire, qui renvoie uniquement à quelque chose de positif. C’est sa force. Aujourd’hui, à Nantes, sa présence est tellement une évidence qu’on a le sentiment qu’il est là depuis toujours… »

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Bientôt en émoji ?

Le Gwenn-ha-Du aurait donc encore de nouveaux terrains à conquérir. Et c’est l’un des chantiers de David Lesvenan, président de l’association www.bzh, qui se bat pour obtenir un émoji – cette petite image qui peut agrémenter les mails et les SMS – aux couleurs du drapeau breton. Une première campagne a été lancée en 2017, auprès des instances internationales qui gèrent les émojis. Malgré la mobilisation de centaines de milliers d’internautes, elle a échoué. L’association entend désormais démarcher les plates-formes une par une : Twitter, Facebook, Instagram…

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« Aujourd’hui, le numérique est structuré par les réseaux sociaux. C’est intéressant d’avoir un émoji qui renvoie facilement à la Bretagne, et c’est le drapeau qui la représente le mieux. C’est un symbole qu’on voit partout, dans le monde entier, partagé par le plus grand nombre, donc facile à utiliser. Pour mettre en avant une région, sa langue, sa culture, il faut des outils numériques adaptés au XXIe siècle. » Et voilà donc le Gwenn-ha-Du, illustre centenaire, désormais parti à l’assaut des géants du Web.






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