Sur l’île française des Caraïbes, la vie devient inabordable pour la plupart des habitants. Depuis plusieurs semaines, le mécontentement s’exprime violemment et a abouti à un accord, le 16 octobre, pour baisser de 20 % en moyenne les prix des produits alimentaires. Mais pour ce quotidien suisse, l’état catastrophique de l’économie martiniquaise est aussi un héritage de l’époque coloniale.
La misère n’est pas toujours moins pénible au soleil. En Martinique, île française des Caraïbes très appréciée des touristes européens, certains produits coûtent aujourd’hui si cher – la différence de prix avec le continent est parfois grotesque – qu’ils sont devenus inabordables pour la population locale.
Les habitants de l’“île aux fleurs” ont donc décidé de faire entendre leur mécontentement, parfois dans la violence. Chaque soir, depuis un mois et demi, des voitures et des postes de police brûlent dans ce petit coin de paradis, malgré le couvre-feu. La vie chère* fait ressortir la colère. Et les injustices.
Voici quelques-uns des prix les plus ahurissants recensés par les médias français dans les supermarchés de Fort-de-France, le chef-lieu de l’île : en Martinique, une boîte de lessive en poudre coûte 22 euros. Un flacon de gel douche, 10 euros, une plaquette de beurre 8,50 euros. Comptez 14 euros pour un pack de six bouteilles d’eau minérale, et 6 euros pour quatre rouleaux de papier toilette.
Une multitude d’intermédiaires privés et publics
Rien d’étonnant à première vue : après tout, la plupart des produits viennent de métropole*, comme disent les Français dans une sorte de réminiscence de l’époque coloniale. Ces denrées sont expédiées depuis Le Havre, notamment, et traversent la moitié du globe en bateau avant d’arriver dans les rayons de Martinique. Le transport à lui seul coûte un bras.
Mais d’autres facteurs viennent également gonfler les prix, de façon beaucoup moins logique. Entre l’Hexagone et la Martinique, une multitude d’intermédiaires privés et publics interviennent dans le processus d’acheminement, et grappillent tous un petit quelque chose au passage.
Dans l’île elle-même, une poignée d’entreprises règne sur l’ensemble des commerces – de façon relativement arbitraire. Avec quelles marges ? Quels bénéfices ? Les principaux intéressés refusent de dévoiler leurs chiffres, même devant l’Assemblée nationale, qui les a convoqués à Paris. Secret des affaires !
Paris, si bon marché
Ajoutez à cela l’“octroi de mer”, une vieille taxe douanière héritée de l’époque coloniale. Elle était destinée au départ à protéger l’économie locale, notamment les paysans. Mais la Martinique a beaucoup évolué depuis et, loin d’être autosuffisante, elle est désormais fortement tributaire des produits importés, notamment en raison des changements d’habitudes alimentaires, calquées sur celles des Européens : la moitié des fruits et légumes consommés dans l’île arrivent aujourd’hui de très loin, principalement de métropole, et la part des importations grimpe même à 90 % pour les volailles et – plus étonnant – les poissons. La balance commerciale est excédentaire pour deux catégories de produits seulement : les bananes et la canne à sucre.
Les recettes de l’octroi de mer permettent au gouvernement de financer la rémunération des fonctionnaires sur place, mieux payés que leurs homologues du continent. Certains ont donc les moyens d’encaisser les prix vertigineux, et ces inégalités attisent la colère des plus défavorisés, qui sont nombreux parmi les 360 000 habitants de l’île. Elles divisent profondément la société.
Ce n’est pas la première fois que les Martiniquais se mobilisent contre la vie chère, mais les manifestations précédentes n’ont rien donné, et les commerçants continuent de prospérer. Alors quand ils vont en métropole, les Martiniquais remplissent leurs valises de fromage et de lessive. À Paris, ces produits ne coûtent rien. Pour eux, du moins.
* En français dans le texte.
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