A Fort-de-France, les Martiniquais se serrent la ceinture au supermarché : «En France, les gens ne réalisent pas»
Samedi, c’est jour de courses. C’est encore plus vrai en Martinique ce 12 octobre : après une semaine agitée où une grande partie des communes de l’île ont connu des manifestations contre la vie chère et les barrages qui en découlaient, le début de week-end est calme et les routes dégagées. Dans l’un des plus gros supermarchés de la banlieue de Fort-de-France, c’est l’affluence des grands jours : les clients sont nombreux, les allées sont pleines et les étals bien vides, conséquence des blocages.
Chariot à la main, leurs deux enfants qui leur tournent autour des jambes, Maël et Jessie, 36 ans, passent au rayon fromage sans vraiment prendre le temps de s’arrêter. Il ne reste que les marques les plus chères ou celles de moins bonne qualité. Et de toute façon, le couple a pris pour habitude de ne jamais trop s’y attarder, qu’il y ait pénurie ou non. «On a vécu quelques années en métropole, là-bas on aimait se faire des plateaux de fromage, raconte Maël, Martiniquais de naissance. Mais ici on évite car les prix sont beaucoup trop élevés. Je suis ingénieur, Jessie est conseillère en patrimoine. En France on était dans la classe moyenne supérieure. Et du jour au lendemain, en rentrant ici, c’est comme si on s’était retrouvés dans la classe moyenne basse.» Les deux trentenaires évoquent un panier de courses dont le montant a plus que doublé. L’Insee estime de son côté que les prix des denrées alimentaires et des boissons non alcoolisées sont 40 % plus élevés sur l’île qu’en métropole.
22 euros le litre d’huile d’olive bas de gamme
Ce samedi, ils sont loin d’être les seuls à se désoler du coût d’à peu près tout. Il y a ce retraité qui fulmine contre le kilo de riz qui flirte avec les 4 euros, ou cette ado qui s’étonne de tomber sur un litre d’huile d’olive bas de gamme à 22 euros. Ces jeunes parents qui notent les prix des couches pour aller les comparer dans les magasins concurrents. Ou encore cette femme d’une soixantaine d’années qui s’est autobaptisée «Madame Promotions» car elle «ne mange bien, surtout de la viande, que quand c’est en promo». Alors quand on évoque le mouvement social qui perdure depuis début septembre, qu’ils y prennent part directement ou non, tous répondent d’une seule voix : le combat est juste et légitime, quand bien même certains regrettent que les manifestations prennent une tournure plus radicale.
«Evidemment que la cause est bonne et qu’il faut que les choses bougent, même si j’ai l’impression qu’on est en train de basculer dans autre chose depuis quelques jours», dit Corine, 45 ans, les yeux rivés sur les étiquettes du rayon yaourts. Les prix du magasin, la Martiniquaise aux cheveux poivre et sel les connaît par cœur, à tel point que ses collègues qui débarquent sur l’île l’appellent pour lui demander si le coût de tel ou tel produit est normal ou exagéré. Ce qui la choque le plus ? Les produits locaux qui se vendent plus cher que leurs équivalents importés. «Vous avez du chou produit en Martinique à 5,50 euros le kilo, alors qu’une autre variété qu’on a fait venir de France est à 2,99 euros. Ça marche aussi pour certains fruits, ou pour le pack d’eau en bouteille produite localement, qui est plus cher que certains qu’on importe. C’est incompréhensible.»
«Quand je rentre de France, je remplis les bagages de lessive, de café ou de fromage»
La quadra cite aussi en vrac la lessive, les yaourts, le café ou la viande comme autant de produits de base qui sont presque du luxe en Martinique. C’est surtout après un séjour dans l’Hexagone, où elle se rend régulièrement, qu’elle dit se rendre compte de l’absurdité des prix en vigueur sur son île. «Quand on rentre, après avoir vu les prix là-bas, on réalise que tout est vraiment cher ici. Maintenant j’anticipe : quand je rentre de France, je remplis les bagages de certains produits comme de la lessive en poudre, des capsules de café ou du fromage en hiver. En France, les gens ne réalisent pas.»
Malgré les négociations qui se sont accélérées ces derniers jours entre élus, distributeurs et représentants du RPPRAC, l’association qui a pris la tête des manifestations, Corine reste pessimiste : selon elle, aucun accord ne fera baisser durablement les prix. «En 2009, c’était pire encore, compare-t-elle. Pendant cinq semaines les supermarchés étaient bloqués, on faisait la queue à l’entrée et on avait des tickets de rationnement. Au final un accord a été négocié, les tarifs des produits les moins chers ont un peu baissé mais ça n’a pas duré.»
Vendredi soir, les parties prenant part aux réunions s’étaient pourtant entendues sur 24 des 26 points de négociation, ce qui laissait présager qu’un accord était proche et un retour au calme définitif sur l’île possible. Mais deux désaccords persistaient, et non des moindres : sur le mécanisme de plafonnement des prix et sur le nombre de produits concernés. Les représentants du RPPRAC demandent que tous les produits alimentaires bénéficient d’un prix réglementé en Martinique, quand la grande distribution cherche sans surprise à réduire cette liste. S’il nourrit quelques espoirs en voyant l’avancée des négociations, Maël ne veut pas être trop optimiste pour autant : «La vie chère, ça ne se résume pas qu’aux supermarchés, c’est bien plus global. Ici, les loyers sont plus chers que dans la plupart des villes de France, c’est pareil pour les pièces de voiture, les forfaits téléphoniques, les vêtements… Un accord ne changera pas tout.»
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