LES ILETS DE PETIT ET DE GRAND CUL-DE-SAC MARIN EN GUADELOUPE
 Photo aérienne de l’îlet Boissard dans la rade de Pointe-à-Pitre


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L'occupation humaine des îlets


du Petit et du Grand Cul-de-Sac Marin


à la Guadeloupe


aux XVIIIème et XIXème siècles






Parc national de la Guadeloupe


Habitation Beausoleil - Montéran


97120 Saint-Claude





 


Le  Petit  Cul-de-Sac  Marin  et  le  Grand  Cul-de-Sac  Marin  sont  deux  larges  baies  de  Guadeloupe  jalonnées  de nombreux  îlets. Elles  ont  en  commun  un  écosystème  bien spécifique  composé de  mangroves  littorales,  de  récifs coralliens étendus et d'herbiers marins. Les îlets  ont  par le passé été le lieu d'implantation d'activités économiques basées  sur l'exploitation de  cet  environnement. Elles  sont à l'origine  de leur peuplement à  l'époque  coloniale.


Les habitations des  îlets qui  se  développent  surtout  au  cours  du  XIXème siècle  sont  en  grande  partie  consacrées  à  la pêche  et  à la  production  de  chaux.  La population des  îlets  est  composée  des propriétaires  d'habitations  issus  de catégories  sociales diverses, et de la  main d’œuvre en majorité  servile.  À  la  fin  du XIX ème siècle,  les  îlets perdront leur fonction d'unités de production au profit du tourisme de villégiature qui émerge à cette époque. 
 Cet article  est  issu  d'une  étude  plus  complète  publiée  en  2012  dans  le  Bulletin  de  la  Société  d'Histoire  de  la Guadeloupe : 


Les  îlets  du  Petit  Cul-de-Sac  Marin  et  du  Grand  Cul-de-Sac  Marin  à  la  Guadeloupe,  attrait économique  et  occupations  coloniales  aux  XVIIIème et  XIXème  siècles,  in  Bulletin  de  la  Société  d'Histoire  de  la Guadeloupe n°163, Gourbeyre, 2012, p. 17-44.


Les  références  des   documents  d’archives  utilisés  ont  été  volontairement  omises  afin  de  faciliter  la  lecture.  Les fonds d’archives consultés sont mentionnés en annexe. Les astérisques renvoient à un lexique en fin d’article.


Une chronologie est  disponible à la fin pour  mieux comprendre  et remettre les éléments développés  dans  leur contexte.



1. Introduction




Le  Petit  Cul-de-Sac  Marin  et  le  Grand  Cul-de-Sac  Marin  sont  deux  larges  baies  de  Guadeloupe  reliées   par  la Rivière  Salée,
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  chenal  maritime  séparant la  Basse-Terre de  la Grande-Terre. Les  nombreux îlets  qui  les  jalonnent en  font  de nos  jours  des lieux privilégiés de  villégiature  le  week-end. Par le passé, leur intérêt ne se limitait  pas à leur  cadre  enchanteresse.  Dès  le  milieu  du  XVII  siècle  en  effet,  le  célèbre  chroniqueur  le  Père  Du  Tertre considère ces deux baies comme étant les « deux mamelles de notre île, desquelles tous les habitants tirent le lait de  leur  nourriture ;  ou  plutôt  comme  deux  magasins,  ou  tout  ce  qu'il  y  a  de  beau,  de  bon  et  de  riche  dans  la Guadeloupe, est enfermé » (Du Tertre, 1654).





Les  îlets,  dont  la  superficie  varie  d'une  centaine  d'hectares  pour  le  plus  grand,  à  quelques  centaines  de  mètres carrés  seulement pour  les  plus  petits,  ont jadis  été le  lieu  d'activités  économiques qui exploitaient les  ressources liées à leur  environnement original : en  effet, les baies du  Petit et du  Grand  Cul-de-Sac Marin se caractérisent par des  récifs  coralliens étendus,  des herbiers de     Magnoliophytes marins (1)  et  des mangroves littorales (Bouchon et al., 2002). Les  activités  économiques  qui  y  sont  liées  ont été  en  grande partie  à  l'origine  de l'occupation  humaine  de ces petits bouts de terre au XVIIIème et surtout au XIXème   siècle.


Nos  recherches  réalisées  majoritairement  à  partir  des  archives  notariales  ont  permis  de  retracer  l'historique  de l'occupation  de  plusieurs  îlets,  et  de  comprendre  les  dynamiques   de  peuplement  de  ces  milieux  spécifiques  à l'époque coloniale. L'administration coloniale les a parfois utilisés pour la signalisation maritime, la défense militaire ou encore l'installation de  lazarets (2). Nous nous sommes toutefois limités dans le présent article à l'habitat privé des îlets.




 2. Le Petit Cul-de-Sac Marin




Situé  au sud de  la Rivière Salée, cette baie  bien  protégée  du vent  et  de  la houle atlantique en  partie  grâce à  un chapelet  d'îlets,  constitue  un  excellent  mouillage  pour  les  navires            (Fig.  1).  Cette  caractéristique  ajoutée  à  sa position centrale à la jonction de la Basse-Terre et de la Grande-Terre a conduit à la création de la ville de Point-à-Pitre en 1764.


On  compte  une  dizaine  d' îlets  dans  la  baie  aujourd'hui,  mais  leur  nombre  fut  bien  supérieur :  douze  îlets  ont totalement  disparu  depuis la  fin du  XVIII siècle comme  le prouve  la  carte  des  Ingénieurs du Roi  levée  à  cette époque,  et  d'autres  ont  vu  leur  superficie  se  restreindre  considérablement            (Fig.  2) . 


Cette  disparition  progressive s'explique  par  une  érosion  importante  due  à  un  ensemble  de  facteurs,  tels  que  les marées cycloniques (3) accentuées  dans  les  baies  comme  le  Petit  Cul-de-Sac  Marin,  la  mort  des  coraux  qui  servent  de  brise-lames naturels,  la  destruction  de  la  mangrove  qui  retient  les  sédiments,  l’élévation  du  niveau  marin  et  les  épisodes sismiques (Deville, 1843)





Fig. 2 :  Plan du Petit Cul-de-Sac Marin avec localisation des îlets disparus depuis le XVIII  ème  siècle




L'îlet Feuille  est situé en face de la Pointe  Jarry, à une centaine de mètres du rivage  seulement. Appelé aussi îlet à Petrelluzzi, du  nom  de la famille qui en  est propriétaire depuis  1903, cet  îlet  ne fait  qu'1,5  hectare  de superficie. Au  début  du XVIII siècle, il  fait partie du  Marquisat  du Houëlbourg qui  fut créé au  profit  de  Charles  Houël, l' un des seigneurs propriétaires de Guadeloupe. 


L'îlet  est  vendu  en  1752  à  la  famille  Lecointre  de  Berville  qui  en  octroie  l'usufruit  en  1788  à  deux   pêcheurs.  Ils s'installent  sur  l'îlet  qui  leur  sert  de  tête  de  pont  pour  la  pêche  dans  le  Petit  Cul-de-Sac  Marin,  propice  à  cette activité  puisque  les  poissons  se  trouvent  en  abondance  dans  sa  zone  récifale.  Ils  possèdent  de  nombreuses sennes  (4) et des pirogues et sont propriétaires de 8 esclaves.


Dès  1839  une  nouvelle  activité  est  attestée  sur  l'îlet :  celle  de  la  production  de  chaux  réalisée  à  partir  des madrépores (5)   de coraux qui sont brûlés. En 1842, deux nouveaux copropriétaires fondent une société de commerce pour  développer  cette activité.  La présence  de  pinces en fer et de pirogues dans l'équipement de  l'établissement illustre  le  mode  de  collecte  utilisé  par  leurs  26  esclaves :  en  eaux  peu  profondes,  aux  alentours  de  l'îlet,  les récoltants se mettent à l'eau à partir de leurs embarcations et arrachent le calcaire corallien à l'aide des pinces. On sait  par  le  témoignage  de  Saint-John  Perse,  pseudonyme  d'Alexis  Leger,  dont  la  famille  est  propriétaire  de  l'îlet vers 1880, que de la chaux y est toujours produite à cette époque (Guerre, 2011).


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L'îlet  Chasse ,  d'une superficie  comparable  à  l'îlet  Feuille,  n'en  est  éloigné  que  de  400 mètres environ. Il  tire  son nom  du sieur  Lazare  Chasse  qui en fait l'acquisition  en 1804.  En  1820,  outre  Lazare  Chasse  qui  en  est  toujours propriétaire, un   libre  de  couleur (6) ,   chaufournier (7)   de  profession,  y  réside  avec  sa  mère.  De  la  chaux  est donc  très vraisemblablement  produite  à  l'époque  sur  l'îlet.  En  1829,  c e  libre  de  couleur  rachète  la  totalité  de  l' îlet  pour mener une activité  de  pêche : il dispose alors d'une  pirogue,  d'une senne et d'esclaves.  À  la fin du  XIX siècle, son  fils  qui a hérité  de l'îlet réside à Pointe-à-Pitre  où il est secrétaire d'un juge  d'instruction, mais  l'utilise  comme lieu de villégiature.



L'îlet Boissard , appelé aussi îlet à Chantereau au XIX siècle, est d'une superficie de 4 hectares et se localise à 250  mètres  à  l'est  de  l'îlet  Chasse.  Il  est  l'objet de  nombreux  morcellements  de propriété  tout  au  long  du  XIX siècle et il est, en conséquence, compliqué d'en retracer l'historique complet. Notre recherche a malgré tout permis d'identifier différentes activités  économiques qui s'y sont  succédées.  En 1804,  on trouve  sur  l'îlet  une tannerie : le choix  d'un  îlet  pour  son  installation  peut  s'expliquer  à  la  fois  par  les  odeurs  nauséabondes  dégagées  par  cette industrie  qui  sont  susceptibles  d'incommoder  les  habitants  de  la  ville  de  Pointe-à-Pitre,  et  par  les  besoins importants en  eau nécessaires aux opérations de traitement des  peaux.  L'eau de mer est sans  doute ici utilisée.  Il y  a lieu  de  s'interroger  sur  la provenance des  peaux  travaillées,  ont-elles une  origine  locale  ou proviennent-elles des importations via le port de Pointe-à-Pitre ?


En  1821, une parcelle de l'îlet  est vendue avec  tous les ustensiles  nécessaires  à la fabrication de la chaux et à la pratique  de la pêche, ainsi qu'avec huit esclaves et neufs  pirogues. L'activité  de pêche est attestée  par l'inventaire d'une  autre  parcelle  établi  en  1830 :  la  propriété  de  Guillaume  Gauthier  est  vendue  avec  deux  sennes  et  deux pirogues.  Un  vivier destiné à conserver les poissons est  également  présent. En  1870, c'est  encore  un pêcheur  de profession,  Valcourt  Barrièra,  qui  se  portera  acquéreur  de  cette  même  parcelle.  En  1901  cependant,  il  se reconvertit dans la location de plusieurs maisons de villégiature sur l'îlet.


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L'îlet à Cochons , situé à moins de  900 mètres au  sud-est  de l'îlet  Boissard,  est le plus  grand  îlet du  Petit Cul-de-Sac  Marin. Dès la fin du XVIII siècle  une  partie de  l'îlet  est consacrée à la défense militaire du port de  Point-à-Pitre  mais  cela  n'empêche  pas   l'implantation  d'activités  économiques  menées  par  des  civils  (Kissoun,  2003). 

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Comme  pour  l'îlet  Boissard,  l'îlet  à  Cochons  regroupe  de  nombreuses  propriétés  dès  le  début  du  XIX siècle.

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Dans les  années  1820, trois  producteurs  de  chaux  y  sont  installés.  Des  vivres  sont  également produits  sur  l'îlet, comme  l'illustre  la  présence  d'une  cocoteraie  et  de  100  bananiers.  L'élevage  est  une  autre  activité  attestée, puisqu'on trouve deux loges pour lapins  et « rats d'Inde ». Le terme « rat d'Inde » désigne probablement le cochon d'Inde  qui est traditionnellement consommé  en Amérique du  Sud et  élevé ici pour sa viande au même  titre  que  le lapin. 


Toujours dans les années 1820, l'îlet est le lieu de résidence d'un pilote du port de Pointe-à-Pitre, chargé de guider les navires de fort tonnage entrant dans la rade. Une activité de pêche y est aussi menée par certains résidents qui possèdent  pirogues, sennes, palans  (8), ainsi qu'un vivier à poissons et un autre à tortues. À la fin  des années 1820, un  entrepreneur  de gabares  réside  sur  l'îlet : les  gabares sont  des embarcations  légères  utilisées  pour  charger et décharger  les  marchandises  des  navires  de  commerce  qui  ne  peuvent  venir  à  quai  ou  s'approcher  trop  près  du rivage.  La  présence  de  nombreux  magasins  prouve  que  l'îlet  sert  à  entreposer  des  marchandises  issues  du commerce  maritime.  Dans  les  années  1840,  de  la  chaux  est  encore  produite  sur  l'îlet.  Entre  1877  et  1884,  le négociant Émilien Brumant constitue un vaste domaine de plus de 15 hectares en rachetant cinq parcelles de l'îlet.


À  cette  époque,  comme  pour  l'îlet  Boissard,  l'îlet  à  Cochons  se  tourne  vers  le  tourisme  de  villégiature :  des maisons  s'y  louent,  une  case  à  bains  sur  pilotis  y  est  construite  et  des  canotiers  sont  chargés  d'effectuer  le trans port de passagers.


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L'îlet  du  Gosier  d'une superficie  d'un  peu  moins  de  trois  hectares  se  situe  à  l'est  du Petit  Cul-de-Sac  Marin,  en face  du  bourg  du  même  nom.  Au  début  du  XIXème siècle,  s'y  trouve  une  petite  habitation  comprenant  plusieurs bâtiments  ainsi  qu'une  lapinière  et  un  colombier.  Plusieurs  esclaves  y  travaillent  et  résident  sur  l'îlet.  L'îlet  sert aussi de  carrière de  sable, probablement  pour la  fabrication de  mortier  de chaux. Vers le  milieu du  XIX siècle, plus  aucun  bâtiment  n’y  subsiste.  Cela  préfigure  de  la  nouvelle  destination  de  l'îlet :  à  cette  époque  un  premier phare y est construit et à la fin du XIX ème      siècle, un poste pour les pilotes chargés de faire entrer les navires  dans la rade de Pointe-à-Pitre est établi (Ballet, 1896).


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3. Le Grand Cul-de-sac Marin





Au nord de la Rivière Salée, la baie du Grand Cul-de-Sac Marin présente une superficie d'environ 10 000 hectares.


Elle est protégée par un récif  barrière  orienté  est-ouest,  le  plus  grand  de  toutes  les  Petites-Antilles, sur  lequel se brise la houle. De nombreux îlets d'une superficie variable parsèment cette vaste étendue d'eau dont la profondeur n'excède pas dix mètres  (Fig. 3)


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L'îlet à Fajou  est le plus grand îlet du Grand Cul-de-Sac Marin avec une superficie de plus de cent hectares. Il est bordé à l'est et à l'ouest par deux passes  qui permettent de franchir le récif barrière.

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En  1804,  il  est  boisé  et  inhabité  comme  les  autres  îlets  du  secteur  (Lescallier,  1808).  La  première  occupation coloniale dont nous avons pu trouver trace remonte à 1836 : Martin Lestour y installe  alors une fabrique  d'engrais, fabriqué  à partir des pisquettes  qu'il pêche  en grand nombre à proximité  de l'îlet. Ces petits  poissons argentés qui se déplacent  en bancs appartiennent à plusieurs espèces (Parle, 1996). Dans  la  première moitié du XIXème siècle, les  poissons  sont  fréquemment  utilisés  en  Guadeloupe  et  Martinique  comme fumure  (9)  dans  les  plantations  de canne  à sucre (Fouquet, 1855). Il  s'agit d'ailleurs  parfois de morues  avariées  en  provenance  d'Amérique du  Nord


Cette production est arrêtée à Fajou en 1840. 


Une autre activité économique, la production de chaux, est attestée au moins dès 1850, comme l'illustre la mention du four à chaux dans les inventaires notariés. Les ruines imposantes de ce four à chaux se dressent aujourd'hui au nord  de  l'îlet   (Fig.  4) .  En  1859,  le fils de  Martin  Lestour  décide  de  reprendre  la fabrication  d'engrais .  En  1864,  la main d’œuvre y travaillant  est composée  de 11 immigrants africains vivant dans plusieurs  cases en bois. En effet, après  l'abolition  de  l'esclavage,  les  premiers  immigrants  sous  contrat  débarquant  en  Guadeloupe  viennent  de  la côte occidentale de l'Afrique (Caty et Richard, 1998). Cependant, en raison du souvenir de la traite négrière encore trop  vivace,  la  France  sous  pression  des  Britanniques,  met  fin  à  cette  immigration  africaine  en  1861.  En compensation, elle sera autorisée à introduire dans ses colonies des travailleurs venant d'Inde. 


En  1868, outre l'établissement de  fabrication d'engrais, on  trouve  sur l'îlet  un troupeau  de bœufs,  de vaches  et de cabris. Si la production d'engrais est  définitivement arrêtée  en 1869,  l'îlet  est utilisé de  1873 à 1878  pour produire de  la  chaux.  Il  est  ensuite  racheté  par  Pierre  Vigneau,  ancien  capitaine  au  long  court  originaire  de  Bordeaux  et négociant à  Pointe-à-Pitre,  qui  le  remet  en  vente  dès  1881.  Le  nombre de  têtes  de  bétail présentes  sur  l'îlet  est alors conséquent : 25 bovins, 65 moutons et 2 à 300 cabris ! A l'aube du XX ème siècle, l'ensemble des bâtiments de l'îlet sont délabrés et il semble qu'il ne soit plus utilisé pour développer des activités économiques. 

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L'îlet  à  Caret ,  d'un  demi  hectare  seulement  de  superficie,  se  localise  à  l'ouest  de  l'îlet  à  Fajou.  En  1846  il  est habité  par  un  pêcheur  noir  et  sa  famille  depuis  25 ans.  Celui-ci,  dénommé  Brutus,  demande  à  l'administration coloniale la concession de l'îlet. En échange, il se propose d'édifier un  petit phare  pour les navires, la dangerosité des  parages étant attestée par les nombreux naufrages  ayant déjà eu lieu dans le secteur. La  demande de Brutus paraît motivée  par la crainte qu'un concurrent ne lui  dispute la  possession  de l'îlet et illustre l'intérêt d'un tel site à l'époque pour la pêche dans le Grand Cul-de-Sac Marin.

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Si comme on l'a vu de nombreux îlets ont disparu depuis le XVIII siècle,  l'îlet à Macou  à l'est  du Grand Cul-de-Sac  Marin est  un contre exemple  puisqu'il  s'est formé entre 1804 et  1821. 
 Map of ilet macou guadeloupe
En  1804 en  effet, une carte  représente une  pointe  de  terre  à  l'emplacement  actuel  de  l'îlet.  C'est  vraisemblablement  une  érosion  accrue  due  aux  trois cyclones  qui frappent coup sur  coup  la  Guadeloupe entre juillet et septembre 1809 qui entraîne la disparition d'un bras de terre, et la formation de l'îlet. En 1821, lors de sa vente, il est décrit comme « 1,5 carré de terre, entouré de mangles (10)  et sans culture ». En 1825, deux hommes libres de couleur, un charpentier et un maître-calfat (11), s'en portent acquéreurs et y construisent une maison en bois. Ils sont en outre propriétaires de deux pirogues et de quatre  esclaves.  Cela  illustre  l'ascension  sociale  de  ce  groupe  au  XIX siècle :  en  1835  à  la  Guadeloupe,  les libres  de  couleur  possèdent  646  habitations,  représentant  le  quart  des  terres,  sur  lesquelles  travaillent  6000 esclaves  (Niort,  2003).  En  1828,  l'îlet  est  planté  de  500  bananiers  et  d'autres  vivres  y  sont  également  produits, ainsi  que  de  la  chaux.  En  1838  la  destination  de  l'îlet  a  évolué  puisqu'il  accueille  alors  le  seul  établissement  de pêche de la commune de Morne-à-L'eau, dirigé par un certain Champel.




L'îlet à Christophe   d'une superficie inférieure à un hectare est situé au sud du Grand Cul-de-Sac Marin, à l'entrée de la Rivière Salée. Il est dénommé au XVII siècle îlet Saint-Christophe. Le célèbre Père Labat y fait une halte à cette  époque  avec  le  gouverneur  de  la  Guadeloupe  Auger  pour  y  manger  un  boucan  de  tortue,  mais  l'îlet  ne semble  pas occupé (Labat,  1724). Une cinquantaine d'années  plus tard par contre l'îlet est  bien habité  puisque les registres d'état civil attestent du baptême par le curé de Baie-Mahault , le 14 juin 1749, de la fille d'une Caraïbesse et  d'un  Caraïbe  de  l'îlet  à  Christophe  (Lafleur,  2004).  En  1838,  l'îlet  est  occupé  par  un  établissement  de  pêche appartenant à un libre de couleur du nom de Zénon qui possède onze esclaves et plusieurs sennes de fond.


L'occupation de l'îlet à Christophe au XVIII siècle par un  Caraïbe n'est pas un cas isolé. Les registres d'état civil font état de l'inhumation, le 5 décembre 1782 dans le cimetière de Petit-Bourg, de Thérésine, dont les parents, tous deux  Caraïbes,  résident  habituellement  aux  îlets  dépendant  de  cette  paroisse  (Lafleur,  2004).  Avant  l'attrait économique  des  colons  ou des  créoles pour les  îlets,  ces terres  ont  pu constituer  dans  une  certaine  mesure  un refuge  pour  des  Amérindiens,  leur  permettant  de  maintenir  pour  un  temps  leur  mode  de  vie  propre.  Cela  pose aussi la question de la coexistence et des échanges entre les deux sociétés à cette époque charnière. 




 4. Synthèse




Comme  nous  l'avons  vu,  dès  la  fin  du  XVIII siècle,  de  modestes  habitations  voient  le  jour  sur  les  îlets.  La création  de  la  ville  de  Pointe-à-Pitre  en  1764, et  plus  globalement  la mise  en  valeur  tardive  de  la  Grande-Terre comparativement à la Basse-Terre, expliquent en partie cette chronologie. Si les habitants des îlets produisent des vivres et pratiquent l'élevage comme sur la plupart des habitations de Guadeloupe, il est frappant de constater que leur  activité  est  en  majorité  tournée  vers  la  pêche  et  la  production  de  chaux.  Les  deux  baies  sont  en  effet  très propices  à  ces  activités  économiques  en  raison  de  leurs  caractéristiques  propres :  leurs  fonds  inférieurs  à  dix mètres  et  la  présence  de récifs  coralliens  développés permettent  de  récolter  facilement  des madrépores, matière première utilisée  majoritairement aux Petites Antilles  pour fabriquer de  la  chaux par  combustion.  Cette  chaux  sert  de  matériau  de  construction  mais  est  aussi  utilisée  dans  l'industrie  sucrière  lors  du processus de fabrication pour purifier le sucre.


Les  récifs  servent  également d'abri  à  de  nombreuses espèces de  poissons  dont  l'abondance s'explique  en  partie par  l'environnement  propre  à  ces  deux  baies :  les  herbiers  de  Magnoliophytes  marins  et  la  mangrove  littorale servent  de  véritable  nurserie  pour  les  poissons  juvéniles  qui  y  trouvent  nourriture  et  protection.  Enfin,  la  faible profondeur se  prête bien à la pêche à la senne, type de capture traditionnellement pratiquée aux Antilles en zone côtière.




Un autre aspect de notre travail est celui de l'origine sociale de la population des îlets. Leurs premiers occupants à l'époque coloniale ont sans  doute été les derniers Caraïbes présents en Guadeloupe, avant que le développement de  l'économie  urbaine  lié à la ville de  Pointe-à-Pitre contribue  à  rendre attractif  les  îlets  du Petit  et  du Grand Cul- de-Sac  Marin  pour les  colons  et  les créoles.  La  classe montante  des  négociants  est  bien  représentée  au  XIX siècle parmi  les  propriétaires  d'îlets,  ainsi  que  la  classe  sociale des  artisans,  blancs ou  libres de couleurs : l'achat d'un  îlet  d'une  superficie  limitée  peut  être  le  tremplin  d'une  ascension  sociale  en  accédant  au  statut  d'habitant, même  si  les  petites  habitations  polyvalentes  créées  ne  tiennent  bien  sûr  pas  la  comparaison  avec  les   grands domaines sucriers .  Les  professions  liées à  l'activité  portuaire  sont  illustrées par  l'exemple de l'îlet  à  Cochons  résident  dans  les  années  1820-1830  un  pilote  de  Pointe-à-Pitre  puis  un  entrepreneur  de  gabarres.  La  dernière catégorie  des résidents se compose de la main d’œuvre travaillant sur  les  habitations des  îlets. Certains esclaves ont  certainement  acquis  les  compétences  indispensables  à  la  pêche  et  la  production  de  chaux,  puisqu'ils  sont revendus  avec  l'habitation.  Ainsi,  Saint-Cloud,  esclave  âgé  de  25 ans  en  1805,  résidant  à  l'îlet  Feuille,  se  retrouve dans l'inventaire  de  l'habitation  en 1846.  Il  aura connu au  moins six propriétaires différents,  en  plus  de 40 ans.  Il faut remarquer  que  seule  la population servile, considérée  comme  bien mobilier, apparaît dans les actes notariés.


Des travailleurs blancs ou  libres de couleurs  ont  cependant,  comme  à  l'îlet Chasse, fait partie de  la main d’œuvre de  ces  habitations.  Après l'abolition  de  l'esclavage, elle a parfois  été  composée  de travailleurs  africains  comme à l'îlet à Fajou.


À partir de la fin du XIX siècle, les îlets perdent leur fonction d'unités de production et deviennent davantage des lieux  de  villégiature.  Ceux  de  la  rade  de  Pointe-à-Pitre,  tout  particulièrement,  sont  utilisés  comme  lieu  de changement  d'air  par  les  notables  de  la  ville  pendant  la  période  d' hivernage (12)  de  juillet à octobre.  Leur  climat est réputé sain  et conseillé  par  les  médecins .  Une nouvelle économie  se  met  en place : des  canotiers  se spécialisent dans le transport des personnes aux  îlets, les locations  de bicoques s'y multiplient  et des  cases à bains sur pilotis voient le jour. 







LEXIQUE :






1    Magnoliophytes  : Plantes à fleur et à graines dont certaines espèces sont marines et forment des herbiers.


2    Lazaret  : Établissement où l'on isole les personnes suspectes d'apporter une maladie contagieuse.


3   Marée  cyclonique  :  Lors  d'un  cyclone,  en  raison  des  vents  violents,  poussée  mécanique  naturelle  de  l'eau  de surface qui s'accumule vers les rivages. Ce phénomène est accentué par les basses pressions atmosphériques.


4    Senne  ou seine : Filet de pêche utilisé sur les fonds sableux


5    Madrépore  : Polype formant des récifs coralliens.


6    Libre de couleur  : Avant l'abolition de l'esclavage, classe juridique formée des affranchis et de leurs descendants,  composée de noirs et d'individus issus du métissage.


7    Chaufournier  : Ouvrier alimentant et contrôlant un four à chaux.


8    Palan  :  Longue  ligne  de  pêche  comprenant  souvent  plusieurs  centaines  d'hameçons  et  se  rangeant  dans  un panier.


9    Fumure  : Engrais destiné à amender un champ.


10   Mangles  : Terme désignant les palétuviers et plus généralement la mangrove.


11   Maître-calfat  : Dirige une équipe de plusieurs ouvriers chargés de rendre étanche la coque d'un navire.


12   Hivernage  : Saison des pluies dans les régions tropicales

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE :

Sources d'archives :


Archives nationales de l'Outre-Mer (ANOM) :


Série géographique


- C.114, d.793, Rapport s ur les pêches qui se pratiquent dans l'arrondissement de Pointe-à-Pitre, 1838 ;


-  C.85,  d.599,  Extrait  du  registre  des   procès-verbaux  des  délibérations   du  Conseil  Privé  de  la  Guadeloupe  et


dépendances, 16 décembre 1846.


Dépôt des fortifications des colonies


- DFC 856C, Plan de l'Islet à Cochons levé en novembre 1828 ;


- DFC 455A, Carte de la Guadeloupe et dépendances, Fortin, 1804




Notariat / Greffes  et juridictions :


Pour  avoir les références  précises de la cinquantaine de  minutes notariales anciennes  utilisées pour notre travail,  se reporter à l'article :


YVON (T.), Les îlets du Petit-Cul-de-Sac Marin et du Grand-Cul-de-Sac Marin à la Guadeloupe, attrait économique et occupations coloniales  aux  XVIIIe  et  XIXe  siècles, in  Bulletin de la  société d'histoire  de  la Guadeloupe  n°163, Gourbeyre, 2012, p. 17-44.


 Service Historique de la Défense (SHD) :


- Cote 7B 123, Carte de la Guadeloupe levée par les ingénieurs géographes, 1764-1769.


Archives départementales de Guadeloupe :


- 2 Mi 3, journal Le Courrier de la Guadeloupe.






Sources imprimées :




BALLET  (Jules),  La  Guadeloupe :  renseignements  sur  l'histoire,  la  flore,  la  faune,  la  géologie,  la  minéralogie, l'agriculture, le commerce,  l'industrie,  la  législation,  l'administration, 3 tomes,  Paris :  Imprimerie du  gouvernement, 1896.




DEVILLE  (Ch.),  Observations sur  le tremblement  de terre  éprouvé à  la  Guadeloupe  le  8  février 1843,  in Annales maritimes et coloniales, 28e année-3e série, t. III, Paris : Imprimerie royale, 1843, p.620-676.


DU TERTRE (J.  -B.),  Histoire générale  des  isles  de S.  Christophe, de la  Guadeloupe,  de  la  Martinique  et  autres dans  l'Amerique    l'on  verra  l'establissement  des  colonies  françoises  dans  ces  isles,  Paris :  chez  Jacques Langlois  et Emmanuel Langlois, 1654.


FOUQUET (M.), Traité des engrais et des amendements, Paris : Librairie agricole de Dusac q, 1855. 


GIRARDIN (J.) & DU BREUIL (A.), Traité élémentaire d'agriculture, t I, Paris : Garnier Frères , 1865, 2e édition. 


 LABAT (J ean-Baptiste), Nouveau voyage aux Iles de l'Amérique, t. II, La Haye : P. Husson, T. Johnson, P. Gosse, J. Vanduren, R. Alberts & C. Levier, 1724.


LESCALLIER,  Fragment  sur  la  géologie  de  la  Guadeloupe,  lu  à  la  Casse  des  Sciences  Physiques  et Mathématiques de  l'Institut  National de  France, in Journal  de physique,  de chimie,  d'histoire  naturelle  et  des arts, avec des planches en taille-douce par J.-C. Delamétherie, t. LXVII, Paris : Courcier, 1808, p. 373-387. 


Bibliographie :


BOUCHON (Claude), BOUCHON-NAVARO (Yolande), LOUIS (Max), Les écosystèmes marins  côtiers des Antilles, in La pêche aux Antilles, Paris : IRD, 2002, p.21-43.


CATY  (Roland)  &  RICHARD  (Eliane),  De  l'Afrique  aux  Antilles :  le  contrat  d'engagés  volontaires  d'un  armateur Mars eillais  (1857-1862),  in  Esclavage,  résistances  et  abolitions,  Actes  du  123e  Congrès  national  des  sociétés historiques et s cientifiques, Antilles-Guyane, 1998, Paris : CTHS, 1998, p.399-416.

GUERRE  (Pierre),  Portrait  de  Saint  John  Perse,  Textes  établis,  réunis  et  présentés  par  Roger  Little,  Paris : L'Harmattan, 2011.


KISSOUN (Bruno), Pointe-à-Pitre, Fortifications de l'îlet à Cochons, Pointe-à-Pitre : Jasor, 2003.


LAFLEUR (Gérard), Les Caraïbes des Petites Antilles, Paris : Karthala, 1992.


NIORT (Jean-François), Les libres  de couleur dans la société coloniale ou  la  ségrégation à l’œuvre  (XVIIe  – XIXe siècles), in Bulletin de la société d'histoire de la Guadeloupe, n°131, 2003, p.61-112.


PARLE (Christine& Lionel), Guide des poissons coralliens des Antilles, Abymes : PLB Editions, 1996.


PEROTIN-DUMON  (Anne),  La  ville  aux  Îles,  la  ville  dans  l'île,  Basse-Terre  et  Pointe-à-Pitre,  Guadeloupe,  1650-1820, Paris : Karthala, 2000.

VERRAND (Laurence), VIDAL (Nathalie), Les  fours à chaux  de la Martinique, in Journal of  Caribbean Archeology, 2004

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