LES ILETS DE PETIT ET DE GRAND CUL-DE-SAC MARIN EN GUADELOUPE
Photo aérienne de l’îlet Boissard dans la rade de Pointe-à-Pitre |
L'occupation humaine des îlets
du Petit et du Grand Cul-de-Sac Marin
à la Guadeloupe
aux XVIIIème et XIXème siècles
Parc national de la Guadeloupe
Habitation Beausoleil - Montéran
97120 Saint-Claude
Le Petit Cul-de-Sac Marin et le Grand Cul-de-Sac Marin sont deux larges baies de Guadeloupe jalonnées de nombreux îlets. Elles ont en commun un écosystème bien spécifique composé de mangroves littorales, de récifs coralliens étendus et d'herbiers marins. Les îlets ont par le passé été le lieu d'implantation d'activités économiques basées sur l'exploitation de cet environnement. Elles sont à l'origine de leur peuplement à l'époque coloniale.
Les habitations des îlets qui se développent surtout au cours du XIXème siècle sont en grande partie consacrées à la pêche et à la production de chaux. La population des îlets est composée des propriétaires d'habitations issus de catégories sociales diverses, et de la main d’œuvre en majorité servile. À la fin du XIX ème siècle, les îlets perdront leur fonction d'unités de production au profit du tourisme de villégiature qui émerge à cette époque.
Cet article est issu d'une étude plus complète publiée en 2012 dans le Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe :
Les îlets du Petit Cul-de-Sac Marin et du Grand Cul-de-Sac Marin à la Guadeloupe, attrait économique et occupations coloniales aux XVIIIème et XIXème siècles, in Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe n°163, Gourbeyre, 2012, p. 17-44.
Les références des documents d’archives utilisés ont été volontairement omises afin de faciliter la lecture. Les fonds d’archives consultés sont mentionnés en annexe. Les astérisques renvoient à un lexique en fin d’article.
Une chronologie est disponible à la fin pour mieux comprendre et remettre les éléments développés dans leur contexte.
1. Introduction
Le Petit Cul-de-Sac Marin et le Grand Cul-de-Sac Marin sont deux larges baies de Guadeloupe reliées par la Rivière Salée,
chenal maritime séparant la Basse-Terre de la Grande-Terre. Les nombreux îlets qui les jalonnent en font de nos jours des lieux privilégiés de villégiature le week-end. Par le passé, leur intérêt ne se limitait pas à leur cadre enchanteresse. Dès le milieu du XVII siècle en effet, le célèbre chroniqueur le Père Du Tertre considère ces deux baies comme étant les « deux mamelles de notre île, desquelles tous les habitants tirent le lait de leur nourriture ; ou plutôt comme deux magasins, ou tout ce qu'il y a de beau, de bon et de riche dans la Guadeloupe, est enfermé » (Du Tertre, 1654).
chenal maritime séparant la Basse-Terre de la Grande-Terre. Les nombreux îlets qui les jalonnent en font de nos jours des lieux privilégiés de villégiature le week-end. Par le passé, leur intérêt ne se limitait pas à leur cadre enchanteresse. Dès le milieu du XVII siècle en effet, le célèbre chroniqueur le Père Du Tertre considère ces deux baies comme étant les « deux mamelles de notre île, desquelles tous les habitants tirent le lait de leur nourriture ; ou plutôt comme deux magasins, ou tout ce qu'il y a de beau, de bon et de riche dans la Guadeloupe, est enfermé » (Du Tertre, 1654).
Les îlets, dont la superficie varie d'une centaine d'hectares pour le plus grand, à quelques centaines de mètres carrés seulement pour les plus petits, ont jadis été le lieu d'activités économiques qui exploitaient les ressources liées à leur environnement original : en effet, les baies du Petit et du Grand Cul-de-Sac Marin se caractérisent par des récifs coralliens étendus, des herbiers de Magnoliophytes marins (1) et des mangroves littorales (Bouchon et al., 2002). Les activités économiques qui y sont liées ont été en grande partie à l'origine de l'occupation humaine de ces petits bouts de terre au XVIIIème et surtout au XIXème siècle.
Nos recherches réalisées majoritairement à partir des archives notariales ont permis de retracer l'historique de l'occupation de plusieurs îlets, et de comprendre les dynamiques de peuplement de ces milieux spécifiques à l'époque coloniale. L'administration coloniale les a parfois utilisés pour la signalisation maritime, la défense militaire ou encore l'installation de lazarets (2). Nous nous sommes toutefois limités dans le présent article à l'habitat privé des îlets.
2. Le Petit Cul-de-Sac Marin
Situé au sud de la Rivière Salée, cette baie bien protégée du vent et de la houle atlantique en partie grâce à un chapelet d'îlets, constitue un excellent mouillage pour les navires (Fig. 1). Cette caractéristique ajoutée à sa position centrale à la jonction de la Basse-Terre et de la Grande-Terre a conduit à la création de la ville de Point-à-Pitre en 1764.
On compte une dizaine d' îlets dans la baie aujourd'hui, mais leur nombre fut bien supérieur : douze îlets ont totalement disparu depuis la fin du XVIII siècle comme le prouve la carte des Ingénieurs du Roi levée à cette époque, et d'autres ont vu leur superficie se restreindre considérablement (Fig. 2) .
Cette disparition progressive s'explique par une érosion importante due à un ensemble de facteurs, tels que les marées cycloniques (3) accentuées dans les baies comme le Petit Cul-de-Sac Marin, la mort des coraux qui servent de brise-lames naturels, la destruction de la mangrove qui retient les sédiments, l’élévation du niveau marin et les épisodes sismiques (Deville, 1843)
Fig. 2 : Plan du Petit Cul-de-Sac Marin avec localisation des îlets disparus depuis le XVIII ème siècle
L'îlet Feuille est situé en face de la Pointe Jarry, à une centaine de mètres du rivage seulement. Appelé aussi îlet à Petrelluzzi, du nom de la famille qui en est propriétaire depuis 1903, cet îlet ne fait qu'1,5 hectare de superficie. Au début du XVIII siècle, il fait partie du Marquisat du Houëlbourg qui fut créé au profit de Charles Houël, l' un des seigneurs propriétaires de Guadeloupe.
L'îlet est vendu en 1752 à la famille Lecointre de Berville qui en octroie l'usufruit en 1788 à deux pêcheurs. Ils s'installent sur l'îlet qui leur sert de tête de pont pour la pêche dans le Petit Cul-de-Sac Marin, propice à cette activité puisque les poissons se trouvent en abondance dans sa zone récifale. Ils possèdent de nombreuses sennes (4) et des pirogues et sont propriétaires de 8 esclaves.
Dès 1839 une nouvelle activité est attestée sur l'îlet : celle de la production de chaux réalisée à partir des madrépores (5) de coraux qui sont brûlés. En 1842, deux nouveaux copropriétaires fondent une société de commerce pour développer cette activité. La présence de pinces en fer et de pirogues dans l'équipement de l'établissement illustre le mode de collecte utilisé par leurs 26 esclaves : en eaux peu profondes, aux alentours de l'îlet, les récoltants se mettent à l'eau à partir de leurs embarcations et arrachent le calcaire corallien à l'aide des pinces. On sait par le témoignage de Saint-John Perse, pseudonyme d'Alexis Leger, dont la famille est propriétaire de l'îlet vers 1880, que de la chaux y est toujours produite à cette époque (Guerre, 2011).
L'îlet Chasse , d'une superficie comparable à l'îlet Feuille, n'en est éloigné que de 400 mètres environ. Il tire son nom du sieur Lazare Chasse qui en fait l'acquisition en 1804. En 1820, outre Lazare Chasse qui en est toujours propriétaire, un libre de couleur (6) , chaufournier (7) de profession, y réside avec sa mère. De la chaux est donc très vraisemblablement produite à l'époque sur l'îlet. En 1829, c e libre de couleur rachète la totalité de l' îlet pour mener une activité de pêche : il dispose alors d'une pirogue, d'une senne et d'esclaves. À la fin du XIX siècle, son fils qui a hérité de l'îlet réside à Pointe-à-Pitre où il est secrétaire d'un juge d'instruction, mais l'utilise comme lieu de villégiature.
L'îlet Boissard , appelé aussi îlet à Chantereau au XIX siècle, est d'une superficie de 4 hectares et se localise à 250 mètres à l'est de l'îlet Chasse. Il est l'objet de nombreux morcellements de propriété tout au long du XIX siècle et il est, en conséquence, compliqué d'en retracer l'historique complet. Notre recherche a malgré tout permis d'identifier différentes activités économiques qui s'y sont succédées. En 1804, on trouve sur l'îlet une tannerie : le choix d'un îlet pour son installation peut s'expliquer à la fois par les odeurs nauséabondes dégagées par cette industrie qui sont susceptibles d'incommoder les habitants de la ville de Pointe-à-Pitre, et par les besoins importants en eau nécessaires aux opérations de traitement des peaux. L'eau de mer est sans doute ici utilisée. Il y a lieu de s'interroger sur la provenance des peaux travaillées, ont-elles une origine locale ou proviennent-elles des importations via le port de Pointe-à-Pitre ?
En 1821, une parcelle de l'îlet est vendue avec tous les ustensiles nécessaires à la fabrication de la chaux et à la pratique de la pêche, ainsi qu'avec huit esclaves et neufs pirogues. L'activité de pêche est attestée par l'inventaire d'une autre parcelle établi en 1830 : la propriété de Guillaume Gauthier est vendue avec deux sennes et deux pirogues. Un vivier destiné à conserver les poissons est également présent. En 1870, c'est encore un pêcheur de profession, Valcourt Barrièra, qui se portera acquéreur de cette même parcelle. En 1901 cependant, il se reconvertit dans la location de plusieurs maisons de villégiature sur l'îlet.
L'îlet à Cochons , situé à moins de 900 mètres au sud-est de l'îlet Boissard, est le plus grand îlet du Petit Cul-de-Sac Marin. Dès la fin du XVIII siècle une partie de l'îlet est consacrée à la défense militaire du port de Point-à-Pitre mais cela n'empêche pas l'implantation d'activités économiques menées par des civils (Kissoun, 2003).
Comme pour l'îlet Boissard, l'îlet à Cochons regroupe de nombreuses propriétés dès le début du XIX siècle.
Dans les années 1820, trois producteurs de chaux y sont installés. Des vivres sont également produits sur l'îlet, comme l'illustre la présence d'une cocoteraie et de 100 bananiers. L'élevage est une autre activité attestée, puisqu'on trouve deux loges pour lapins et « rats d'Inde ». Le terme « rat d'Inde » désigne probablement le cochon d'Inde qui est traditionnellement consommé en Amérique du Sud et élevé ici pour sa viande au même titre que le lapin.
Toujours dans les années 1820, l'îlet est le lieu de résidence d'un pilote du port de Pointe-à-Pitre, chargé de guider les navires de fort tonnage entrant dans la rade. Une activité de pêche y est aussi menée par certains résidents qui possèdent pirogues, sennes, palans (8), ainsi qu'un vivier à poissons et un autre à tortues. À la fin des années 1820, un entrepreneur de gabares réside sur l'îlet : les gabares sont des embarcations légères utilisées pour charger et décharger les marchandises des navires de commerce qui ne peuvent venir à quai ou s'approcher trop près du rivage. La présence de nombreux magasins prouve que l'îlet sert à entreposer des marchandises issues du commerce maritime. Dans les années 1840, de la chaux est encore produite sur l'îlet. Entre 1877 et 1884, le négociant Émilien Brumant constitue un vaste domaine de plus de 15 hectares en rachetant cinq parcelles de l'îlet.
À cette époque, comme pour l'îlet Boissard, l'îlet à Cochons se tourne vers le tourisme de villégiature : des maisons s'y louent, une case à bains sur pilotis y est construite et des canotiers sont chargés d'effectuer le trans port de passagers.
L'îlet du Gosier d'une superficie d'un peu moins de trois hectares se situe à l'est du Petit Cul-de-Sac Marin, en face du bourg du même nom. Au début du XIXème siècle, s'y trouve une petite habitation comprenant plusieurs bâtiments ainsi qu'une lapinière et un colombier. Plusieurs esclaves y travaillent et résident sur l'îlet. L'îlet sert aussi de carrière de sable, probablement pour la fabrication de mortier de chaux. Vers le milieu du XIX siècle, plus aucun bâtiment n’y subsiste. Cela préfigure de la nouvelle destination de l'îlet : à cette époque un premier phare y est construit et à la fin du XIX ème siècle, un poste pour les pilotes chargés de faire entrer les navires dans la rade de Pointe-à-Pitre est établi (Ballet, 1896).
3. Le Grand Cul-de-sac Marin
Au nord de la Rivière Salée, la baie du Grand Cul-de-Sac Marin présente une superficie d'environ 10 000 hectares.
Elle est protégée par un récif barrière orienté est-ouest, le plus grand de toutes les Petites-Antilles, sur lequel se brise la houle. De nombreux îlets d'une superficie variable parsèment cette vaste étendue d'eau dont la profondeur n'excède pas dix mètres (Fig. 3)
L'îlet à Fajou est le plus grand îlet du Grand Cul-de-Sac Marin avec une superficie de plus de cent hectares. Il est bordé à l'est et à l'ouest par deux passes qui permettent de franchir le récif barrière.
En 1804, il est boisé et inhabité comme les autres îlets du secteur (Lescallier, 1808). La première occupation coloniale dont nous avons pu trouver trace remonte à 1836 : Martin Lestour y installe alors une fabrique d'engrais, fabriqué à partir des pisquettes qu'il pêche en grand nombre à proximité de l'îlet. Ces petits poissons argentés qui se déplacent en bancs appartiennent à plusieurs espèces (Parle, 1996). Dans la première moitié du XIXème siècle, les poissons sont fréquemment utilisés en Guadeloupe et Martinique comme fumure (9) dans les plantations de canne à sucre (Fouquet, 1855). Il s'agit d'ailleurs parfois de morues avariées en provenance d'Amérique du Nord
Cette production est arrêtée à Fajou en 1840.
Une autre activité économique, la production de chaux, est attestée au moins dès 1850, comme l'illustre la mention du four à chaux dans les inventaires notariés. Les ruines imposantes de ce four à chaux se dressent aujourd'hui au nord de l'îlet (Fig. 4) . En 1859, le fils de Martin Lestour décide de reprendre la fabrication d'engrais . En 1864, la main d’œuvre y travaillant est composée de 11 immigrants africains vivant dans plusieurs cases en bois. En effet, après l'abolition de l'esclavage, les premiers immigrants sous contrat débarquant en Guadeloupe viennent de la côte occidentale de l'Afrique (Caty et Richard, 1998). Cependant, en raison du souvenir de la traite négrière encore trop vivace, la France sous pression des Britanniques, met fin à cette immigration africaine en 1861. En compensation, elle sera autorisée à introduire dans ses colonies des travailleurs venant d'Inde.
En 1868, outre l'établissement de fabrication d'engrais, on trouve sur l'îlet un troupeau de bœufs, de vaches et de cabris. Si la production d'engrais est définitivement arrêtée en 1869, l'îlet est utilisé de 1873 à 1878 pour produire de la chaux. Il est ensuite racheté par Pierre Vigneau, ancien capitaine au long court originaire de Bordeaux et négociant à Pointe-à-Pitre, qui le remet en vente dès 1881. Le nombre de têtes de bétail présentes sur l'îlet est alors conséquent : 25 bovins, 65 moutons et 2 à 300 cabris ! A l'aube du XX ème siècle, l'ensemble des bâtiments de l'îlet sont délabrés et il semble qu'il ne soit plus utilisé pour développer des activités économiques.
L'îlet à Caret , d'un demi hectare seulement de superficie, se localise à l'ouest de l'îlet à Fajou. En 1846 il est habité par un pêcheur noir et sa famille depuis 25 ans. Celui-ci, dénommé Brutus, demande à l'administration coloniale la concession de l'îlet. En échange, il se propose d'édifier un petit phare pour les navires, la dangerosité des parages étant attestée par les nombreux naufrages ayant déjà eu lieu dans le secteur. La demande de Brutus paraît motivée par la crainte qu'un concurrent ne lui dispute la possession de l'îlet et illustre l'intérêt d'un tel site à l'époque pour la pêche dans le Grand Cul-de-Sac Marin.
Si comme on l'a vu de nombreux îlets ont disparu depuis le XVIII siècle, l'îlet à Macou à l'est du Grand Cul-de-Sac Marin est un contre exemple puisqu'il s'est formé entre 1804 et 1821.
En 1804 en effet, une carte représente une pointe de terre à l'emplacement actuel de l'îlet. C'est vraisemblablement une érosion accrue due aux trois cyclones qui frappent coup sur coup la Guadeloupe entre juillet et septembre 1809 qui entraîne la disparition d'un bras de terre, et la formation de l'îlet. En 1821, lors de sa vente, il est décrit comme « 1,5 carré de terre, entouré de mangles (10) et sans culture ». En 1825, deux hommes libres de couleur, un charpentier et un maître-calfat (11), s'en portent acquéreurs et y construisent une maison en bois. Ils sont en outre propriétaires de deux pirogues et de quatre esclaves. Cela illustre l'ascension sociale de ce groupe au XIX siècle : en 1835 à la Guadeloupe, les libres de couleur possèdent 646 habitations, représentant le quart des terres, sur lesquelles travaillent 6000 esclaves (Niort, 2003). En 1828, l'îlet est planté de 500 bananiers et d'autres vivres y sont également produits, ainsi que de la chaux. En 1838 la destination de l'îlet a évolué puisqu'il accueille alors le seul établissement de pêche de la commune de Morne-à-L'eau, dirigé par un certain Champel.
L'îlet à Christophe d'une superficie inférieure à un hectare est situé au sud du Grand Cul-de-Sac Marin, à l'entrée de la Rivière Salée. Il est dénommé au XVII siècle îlet Saint-Christophe. Le célèbre Père Labat y fait une halte à cette époque avec le gouverneur de la Guadeloupe Auger pour y manger un boucan de tortue, mais l'îlet ne semble pas occupé (Labat, 1724). Une cinquantaine d'années plus tard par contre l'îlet est bien habité puisque les registres d'état civil attestent du baptême par le curé de Baie-Mahault , le 14 juin 1749, de la fille d'une Caraïbesse et d'un Caraïbe de l'îlet à Christophe (Lafleur, 2004). En 1838, l'îlet est occupé par un établissement de pêche appartenant à un libre de couleur du nom de Zénon qui possède onze esclaves et plusieurs sennes de fond.
L'occupation de l'îlet à Christophe au XVIII siècle par un Caraïbe n'est pas un cas isolé. Les registres d'état civil font état de l'inhumation, le 5 décembre 1782 dans le cimetière de Petit-Bourg, de Thérésine, dont les parents, tous deux Caraïbes, résident habituellement aux îlets dépendant de cette paroisse (Lafleur, 2004). Avant l'attrait économique des colons ou des créoles pour les îlets, ces terres ont pu constituer dans une certaine mesure un refuge pour des Amérindiens, leur permettant de maintenir pour un temps leur mode de vie propre. Cela pose aussi la question de la coexistence et des échanges entre les deux sociétés à cette époque charnière.
4. Synthèse
Comme nous l'avons vu, dès la fin du XVIII siècle, de modestes habitations voient le jour sur les îlets. La création de la ville de Pointe-à-Pitre en 1764, et plus globalement la mise en valeur tardive de la Grande-Terre comparativement à la Basse-Terre, expliquent en partie cette chronologie. Si les habitants des îlets produisent des vivres et pratiquent l'élevage comme sur la plupart des habitations de Guadeloupe, il est frappant de constater que leur activité est en majorité tournée vers la pêche et la production de chaux. Les deux baies sont en effet très propices à ces activités économiques en raison de leurs caractéristiques propres : leurs fonds inférieurs à dix mètres et la présence de récifs coralliens développés permettent de récolter facilement des madrépores, matière première utilisée majoritairement aux Petites Antilles pour fabriquer de la chaux par combustion. Cette chaux sert de matériau de construction mais est aussi utilisée dans l'industrie sucrière lors du processus de fabrication pour purifier le sucre.
Les récifs servent également d'abri à de nombreuses espèces de poissons dont l'abondance s'explique en partie par l'environnement propre à ces deux baies : les herbiers de Magnoliophytes marins et la mangrove littorale servent de véritable nurserie pour les poissons juvéniles qui y trouvent nourriture et protection. Enfin, la faible profondeur se prête bien à la pêche à la senne, type de capture traditionnellement pratiquée aux Antilles en zone côtière.
Un autre aspect de notre travail est celui de l'origine sociale de la population des îlets. Leurs premiers occupants à l'époque coloniale ont sans doute été les derniers Caraïbes présents en Guadeloupe, avant que le développement de l'économie urbaine lié à la ville de Pointe-à-Pitre contribue à rendre attractif les îlets du Petit et du Grand Cul- de-Sac Marin pour les colons et les créoles. La classe montante des négociants est bien représentée au XIX siècle parmi les propriétaires d'îlets, ainsi que la classe sociale des artisans, blancs ou libres de couleurs : l'achat d'un îlet d'une superficie limitée peut être le tremplin d'une ascension sociale en accédant au statut d'habitant, même si les petites habitations polyvalentes créées ne tiennent bien sûr pas la comparaison avec les grands domaines sucriers . Les professions liées à l'activité portuaire sont illustrées par l'exemple de l'îlet à Cochons où résident dans les années 1820-1830 un pilote de Pointe-à-Pitre puis un entrepreneur de gabarres. La dernière catégorie des résidents se compose de la main d’œuvre travaillant sur les habitations des îlets. Certains esclaves ont certainement acquis les compétences indispensables à la pêche et la production de chaux, puisqu'ils sont revendus avec l'habitation. Ainsi, Saint-Cloud, esclave âgé de 25 ans en 1805, résidant à l'îlet Feuille, se retrouve dans l'inventaire de l'habitation en 1846. Il aura connu au moins six propriétaires différents, en plus de 40 ans. Il faut remarquer que seule la population servile, considérée comme bien mobilier, apparaît dans les actes notariés.
Des travailleurs blancs ou libres de couleurs ont cependant, comme à l'îlet Chasse, fait partie de la main d’œuvre de ces habitations. Après l'abolition de l'esclavage, elle a parfois été composée de travailleurs africains comme à l'îlet à Fajou.
À partir de la fin du XIX siècle, les îlets perdent leur fonction d'unités de production et deviennent davantage des lieux de villégiature. Ceux de la rade de Pointe-à-Pitre, tout particulièrement, sont utilisés comme lieu de changement d'air par les notables de la ville pendant la période d' hivernage (12) de juillet à octobre. Leur climat est réputé sain et conseillé par les médecins . Une nouvelle économie se met en place : des canotiers se spécialisent dans le transport des personnes aux îlets, les locations de bicoques s'y multiplient et des cases à bains sur pilotis voient le jour.
LEXIQUE :
1 Magnoliophytes : Plantes à fleur et à graines dont certaines espèces sont marines et forment des herbiers.
2 Lazaret : Établissement où l'on isole les personnes suspectes d'apporter une maladie contagieuse.
3 Marée cyclonique : Lors d'un cyclone, en raison des vents violents, poussée mécanique naturelle de l'eau de surface qui s'accumule vers les rivages. Ce phénomène est accentué par les basses pressions atmosphériques.
4 Senne ou seine : Filet de pêche utilisé sur les fonds sableux
5 Madrépore : Polype formant des récifs coralliens.
6 Libre de couleur : Avant l'abolition de l'esclavage, classe juridique formée des affranchis et de leurs descendants, composée de noirs et d'individus issus du métissage.
7 Chaufournier : Ouvrier alimentant et contrôlant un four à chaux.
8 Palan : Longue ligne de pêche comprenant souvent plusieurs centaines d'hameçons et se rangeant dans un panier.
9 Fumure : Engrais destiné à amender un champ.
10 Mangles : Terme désignant les palétuviers et plus généralement la mangrove.
11 Maître-calfat : Dirige une équipe de plusieurs ouvriers chargés de rendre étanche la coque d'un navire.
12 Hivernage : Saison des pluies dans les régions tropicales
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE :
Sources d'archives :
Archives nationales de l'Outre-Mer (ANOM) :
Série géographique
- C.114, d.793, Rapport s ur les pêches qui se pratiquent dans l'arrondissement de Pointe-à-Pitre, 1838 ;
- C.85, d.599, Extrait du registre des procès-verbaux des délibérations du Conseil Privé de la Guadeloupe et
dépendances, 16 décembre 1846.
Dépôt des fortifications des colonies
- DFC 856C, Plan de l'Islet à Cochons levé en novembre 1828 ;
- DFC 455A, Carte de la Guadeloupe et dépendances, Fortin, 1804
Notariat / Greffes et juridictions :
Pour avoir les références précises de la cinquantaine de minutes notariales anciennes utilisées pour notre travail, se reporter à l'article :
YVON (T.), Les îlets du Petit-Cul-de-Sac Marin et du Grand-Cul-de-Sac Marin à la Guadeloupe, attrait économique et occupations coloniales aux XVIIIe et XIXe siècles, in Bulletin de la société d'histoire de la Guadeloupe n°163, Gourbeyre, 2012, p. 17-44.
Service Historique de la Défense (SHD) :
- Cote 7B 123, Carte de la Guadeloupe levée par les ingénieurs géographes, 1764-1769.
Archives départementales de Guadeloupe :
- 2 Mi 3, journal Le Courrier de la Guadeloupe.
Sources imprimées :
BALLET (Jules), La Guadeloupe : renseignements sur l'histoire, la flore, la faune, la géologie, la minéralogie, l'agriculture, le commerce, l'industrie, la législation, l'administration, 3 tomes, Paris : Imprimerie du gouvernement, 1896.
DEVILLE (Ch.), Observations sur le tremblement de terre éprouvé à la Guadeloupe le 8 février 1843, in Annales maritimes et coloniales, 28e année-3e série, t. III, Paris : Imprimerie royale, 1843, p.620-676.
DU TERTRE (J. -B.), Histoire générale des isles de S. Christophe, de la Guadeloupe, de la Martinique et autres dans l'Amerique où l'on verra l'establissement des colonies françoises dans ces isles, Paris : chez Jacques Langlois et Emmanuel Langlois, 1654.
FOUQUET (M.), Traité des engrais et des amendements, Paris : Librairie agricole de Dusac q, 1855.
GIRARDIN (J.) & DU BREUIL (A.), Traité élémentaire d'agriculture, t I, Paris : Garnier Frères , 1865, 2e édition.
LABAT (J ean-Baptiste), Nouveau voyage aux Iles de l'Amérique, t. II, La Haye : P. Husson, T. Johnson, P. Gosse, J. Vanduren, R. Alberts & C. Levier, 1724.
LESCALLIER, Fragment sur la géologie de la Guadeloupe, lu à la Casse des Sciences Physiques et Mathématiques de l'Institut National de France, in Journal de physique, de chimie, d'histoire naturelle et des arts, avec des planches en taille-douce par J.-C. Delamétherie, t. LXVII, Paris : Courcier, 1808, p. 373-387.
Bibliographie :
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CATY (Roland) & RICHARD (Eliane), De l'Afrique aux Antilles : le contrat d'engagés volontaires d'un armateur Mars eillais (1857-1862), in Esclavage, résistances et abolitions, Actes du 123e Congrès national des sociétés historiques et s cientifiques, Antilles-Guyane, 1998, Paris : CTHS, 1998, p.399-416.
GUERRE (Pierre), Portrait de Saint John Perse, Textes établis, réunis et présentés par Roger Little, Paris : L'Harmattan, 2011.
KISSOUN (Bruno), Pointe-à-Pitre, Fortifications de l'îlet à Cochons, Pointe-à-Pitre : Jasor, 2003.
LAFLEUR (Gérard), Les Caraïbes des Petites Antilles, Paris : Karthala, 1992.
NIORT (Jean-François), Les libres de couleur dans la société coloniale ou la ségrégation à l’œuvre (XVIIe – XIXe siècles), in Bulletin de la société d'histoire de la Guadeloupe, n°131, 2003, p.61-112.
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VERRAND (Laurence), VIDAL (Nathalie), Les fours à chaux de la Martinique, in Journal of Caribbean Archeology, 2004
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