LES SARGASSES, ÇA AGACE

Les sargasses, nouveau cauchemar des Caraïbes !

La France agit contre ces algues qui envahissent les Caraïbes. Rendez-vous au forum du Point « Les Outre-mer aux avant-postes », à Paris, le 1er février.

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Plongée sous un banc de sargasses en mer des Caraïbes.
Plongée sous un banc de sargasses en mer des Caraïbes.
© ENERGY OBSERVER/SIPA
cuisinier depuis plus de trente ans à Saint-Martin. À plusieurs reprises, alors que je circulais sur mon scooter, j'ai dû m'arrêter brusquement pour vomir, tellement l'odeur prenait à la gorge. » Sur le plan environnemental, les écosystèmes côtiers souffrent. Tant qu'elles sont en mer, vivantes, les sargasses sont bienfaisantes pour la faune, abritant quantité de poissons, de crabes ou de langoustes – les meilleures, d'après les pêcheurs. Le problème se pose lorsqu'elles échouent en nombre sur le littoral. Là, ces bancs d'algues meurent, se décomposent et libèrent une trentaine de gaz, dont deux particulièrement neurotoxiques, qui absorbent l'oxygène, le sulfure d'hydrogène (H2S), reconnaissable à son odeur d'œuf pourri, et l'ammoniac. Tout ce qui vit sous l'épais tapis marron qu'elles forment est asphyxié. Les animaux marins et le corail succombent, étouffés par la matière visqueuse, tandis que la prairie initiale est remplacée par un herbier qui accueille des espèces exotiques envahissantes. 


Un cauchemar environnemental aux lourdes répercussions économiques. Selon la Communauté caribéenne, les pertes se chiffrent en effet à 94 millions d'euros pour l'année 2022. Deuxième puissance maritime grâce à ses outre-mer, la France se mobilise donc activement. En 2018, elle a adopté un « plan Sargasses » de 24 millions d'euros, puis un deuxième en 2022, porté à 36 millions. Des investissements qui visent à soutenir la recherche, la surveillance et la lutte contre les échouements, en développant les barrages, la collecte sous quarante-huit heures et le stockage. Les toutes dernières avancées de ces plans seront révélées lors d'une conférence très attendue du forum annuel du Point « Les Outre-mer aux avant-postes »« La France est pionnière dans la gestion des impacts sanitaires. Les prestataires chargés de la collecte utilisent des équipements de sécurité tels que des masques et des combinaisons, alors que, ailleurs, les personnes opèrent souvent pieds nus », précise Sylvie Gustave-dit-Duflo, vice-présidente de la région Guadeloupe chargée de l'environnement. Le programme qu'elle soutient (Sarg'coop) vise justement à préparer les territoires caribéens à la mise en place d'un réseau de mesure de la qualité de l'air et de plans communaux d'évacuation de population.

Une ceinture de 8 850 kilomètres. D'après une étude publiée dans Science en 2019, la prolifération sans précédent des sargasses remonte à 2011 et forme une ceinture de 8 850 kilomètres, des Caraïbes jusqu'à l'ouest de l'Afrique. Cette extension s'expliquerait, selon l'hypothèse la plus probable, par un événement météorologique extrême. En 2010, des vents d'ouest inhabituellement forts, associés à une anomalie de la circulation océanique, les ont poussées vers l'Europe et l'Afrique. Prises dans le courant des Canaries, puis de l'Équateur, ces algues ont trouvé un terrain plus favorable à leur prolifération que dans la mer des Sargasses historique, située en Atlantique Nord.

<FIGCAPTION><STRONG>Prolifération. </STRONG>La Guadeloupe est régulièrement envahie par les algues sargasses.</FIGCAPTION> ©  MOREL/SIMAX/SIPA
Prolifération. La Guadeloupe est régulièrement envahie par les algues sargasses.
© MOREL/SIMAX/SIPA

Pourquoi se développent-elles à ce point ? La piste d'un afflux de nutriments (azote, phosphate, nitrate) véhiculé par les fleuves Amazone et Congo et qui s'écoule ensuite dans la mer, où il stimule la croissance des plantes marines, a été longtemps mise en avant. Jusqu'à ce qu'une étude publique française issue d'un autre projet (Foresea – FOREcasting seasonal Sargassum Events in the Atlantic) balaie cette hypothèse. Par exemple, aucun pic majeur de flux de nutriments n'a été observé pendant les années record de sargasses, en 2015 et en 2018. Si la pollution de ces fleuves est bien réelle, celle-ci n'est pas le moteur de la prolifération saisonnière. Autre explication : le réchauffement climatique, qui élève la température de l'océan. La croissance des algues est maximale quand la température des eaux de surface oscille entre 28 °C et 31 °C.

Arsenic et métaux lourds. La gestion du problème diffère d'un pays de la Caraïbe à l'autre. Certaines municipalités, par manque de moyens financiers, sont dépassées. Véritables éponges, les sargasses se chargent d'arsenic et de métaux lourds, qu'elles relâchent à l'arrière des plages où elles sont stockées. Certains échouements sont, de plus, contaminés au chlordécone, un insecticide longtemps épandu sur les bananeraies. Les sites d'épandage saturent, provoquant des inquiétudes quant à la contamination des sols et des nappes phréatiques. La valorisation de cette immense biomasse ouvre pourtant des perspectives prometteuses. Plusieurs projets sont en phase d'expérimentation pour transformer la sargasse en engrais, en bioplastique, en lubrifiant ou encore en charbon actif. Grâce à une meilleure prédiction des échouages, on peut en effet anticiper les afflux et les besoins de collecte. « Très prochainement, nous pourrons donner des estimations sur les volumes », affirme Marion Sutton, cheffe de projet chez CLS, opérateur qui fournit des cartes de présence des algues et de prévision de dérive, à partir de données satellite et radar. Mais la présence de sel et de métaux lourds rend difficile le passage du laboratoire à la filière pérenne. Douze consortiums de recherche se consacrent à cette étude. La restitution des données issues de ces recherches est prévue pour le 28 février.

Projet de résolution. Face à l'absence de coordination, qui découle principalement de l'inexistence d'un cadre juridique international, la France agit. Lors de l'assemblée générale de l'ONU, en septembre, elle présentera donc un projet de résolution. « L'État a donné un statut de déchets aux sargasses pour que les collectivités puissent les collecter, explique Sylvie Gustave-dit-Duflo. Ces algues forment, certes, en haute mer, un véritable “radeau de vie” mais nous sommes face à un phénomène qui a trop d' impacts sur la santé, la biodiversité et l'économie. Ce cadre juridique doit donc enfin permettre de lancer des plans d'action coordonnés, tels que l'ouverture de droits à compensation pour les petits États dont l'économie repose essentiellement sur le tourisme et les ressources halieutiques, mais aussi des expéditions scientifiques internationales. » On sait en effet, d'après une étude du CHU de Martinique, réalisée en 2022, que vivre à proximité augmente les risques d'accouchement prématuré, mais les effets d'une exposition chronique à faibles doses sont encore peu documentés. Faute de pouvoir se débarrasser des sargasses, il faudra sans doute apprendre à vivre avec… Alors autant les connaître parfaitement.

« Les Outre-mer aux avant-postes »

La 3e édition de l'événement « Les Outre-mer aux avant-postes », organisé par Le Point, se tiendra le 1er février à la Maison de l'Océan, à Paris. Seront évoqués les sujets les plus brûlants du moment : défense de la biodiversité, insécurité à Mayotte, rôle des entrepreneurs ultramarins, raréfaction de l'eau, protection des littoraux… Entrée gratuite. Inscription sur : evenements.lepoint.fr/outre-mer/programme/

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