LE RETOUR DEPUIS LA BLANQUILLA.....



JOURNAL DE BORD suite : La Remontée !


JUSQU’AU BOUT !



Bien sûr nous savions aussi  que toutes ces Iles sont très à l’ouest des Antilles : le vent dominant soufflant d’Est dans la région, chaque mille à l’ouest est un mille de plus qui peut être difficile pour le retour…mais nous  nous sommes laissé guider par nos envies de grand sud et de l’abri des cyclones.

Avant de quitter cet archipel, une anecdote historique :

Certains prétendent que sur la côte au vent des Avès de Barlovento gît une grande partie de la flotte du comte d’Estrées qui captura le navire hollandais Binkes au large de l’île de Tobago puis fit voile vers la France pour réparer ses bateaux à Brest. Il revint aux Indes Occidentales (les « West Indies ») le 7 octobre 1796 pour une nouvelle tentative de mettre la main sur les îles ; il semblerait que d’Estrées fit route sur Curaçao, mais, dans la nuit du 4 mai 1697, son navire porte-drapeau mit la voile vers une des Avès : avant que quoi que ce soit fut entrepris, les navires le suivant s’entassèrent derrière lui ! Au lever du jour, sept bateaux du convoi, trois transporteurs et trois frégates étaient en morceaux sur le récif corallien et perdus corps et biens… le septième navire, le « Jamaïca »,  fut sauvé in extremis « grâce » à une erreur de navigation !

Le seul problème à ce jour est que personne ne peut affirmer sur laquelle des Avès se trouvent les épaves de la flotte de d’Estrées… Daniel Camejo soutient que c’est aux Avès de Barlovento que la flotte a coulé…il prétend aussi que les navires faisaient route de Tobago vers Curaçao qu’ils comptaient investir…

Dudly Pope, de son côté, dit que l’endroit exact est l’île d’Avès, au milieu de la mer Caraïbe, au large de la Martinique !

La solution à ce mystère réside dans la réponse aux questions suivantes :
- quel était le dernier mouillage de la flotte de d’Estrées ?
-où cette flotte a-t-elle été vue pour la dernière fois ?
Autrement dit : où était la flotte entre le 7 octobre 1796 et le 4 mai 1797 ?
Toujours est-il que quelque part pourrait se trouver un fabuleux trésor de canons, de joyaux, objets divers et variés de cette époque ainsi que des restes archéologiques !
Mais, avant d’entreprendre une plongée, il faudrait pouvoir répondre aux questions ci-dessus !


LE RETOUR…
Comme je ne voudrais pas être taxée d’impartialité par une description trop élogieuse de ces archipels, je vous transcris une traduction sans prétention d’un extrait du guide Doyle « Cruising Guide to Venezuela »
« Les Roques font partie des quelques sites où j’ai eu le plus de plaisir à naviguer. Une bonne brise, une mer belle aux couleurs toujours changeantes, font qu’il est un pur bonheur de croiser aux Roques. L’eau y est si claire que même sous voile, on peut toujours négocier les passages difficiles entre les récifs pour trouver un mouillage idyllique. Los Roques sont un lagon s’étire sur environ 25 milles de long et 14 de large. Les récifs coralliens à fleur d’eau reflètent la lumière avec une telle force que les nuages prennent parfois une teinte vert d’eau. Los Roques restent encore assez peu visitées. Il est ainsi fréquent de trouver un mouillage désert qui vous donnera le sentiment d’être un explorateur du bout du monde ».
En tout le site est aussi un lieu idéal pour faire grossir l’album photo d’AFRODITE : les photos sont en effet un élément incontournable de la mémoire du voyage. Plus encore que dans d’autres domaines l’appareil photo numérique est devenu incontournable, également les jetables qui vont sous l’eau. Pour immortaliser mon énième coucher de soleil il me suffit d’appuyer sur le bouton aussi souvent que j’en ai envie. Avec le numérique je peux prendre trente clichés de dauphins virevoltant autour des étraves d’AFRODITE et n’en conserver que deux ou trois. Surtout que ce n’est pas facile de faire une bonne photo de dauphins! Lorsque la carte mémoire est pleine et bien il suffit de passer les bonnes, les moyennes et « acceptables » pour les stocker sur le disque dur de l’ordinateur. Du coup  je peux alors me lancer dans des retouches éventuelles avec un logiciel ad hoc ! Et fini la contrainte des volumineux albums photo. C’est ce que j’appelle le daguerréotype nouvelle génération ! Le  maniement est simplifié et mes photos vont directement du producteur au consommateur sans  passer par les couteux services d’un laboratoire de développement. Les clichés de la pêche « miraculeuse » et héroïque du capitaine peuvent ainsi faire l’objet d’un diaporama alors que la bête n’est pas encore consommée ! Et pour épater les mais de métropole rien de plus facile que de leur envoyer un mail (sadique) avec une photo panoramique du lagon dans lequel on est mouillé…si l’on fait route avec un « batocopain » on peut alors avoir enfin une photo du bateau surfant sur les vagues prise depuis leur bord et réciproquement.
Ca soir le ciel avait la couleur et la profondeur de l’infini…des pélicans se muaient en projectiles en plongeant à  la recherche de leur pitance dans les eaux claires du lagon…

DERNIER MOUILLAGE de LOS ROQUES :
de GRAN ROQUE à la bouche SEBASTOPOL : 12 milles
MOUILLAGE SEBASTOPOL :
LAT.11°47 429  N  .LONG.066°34 416 W.



CAP AU NORD EST !
La Martinique au cap 54 à 270 milles,
Mais, en ligne directe…
Les cartes météo que je reçois  grâce à la BLU sont encourageantes ce matin : elles indiquent un vent orienté au sud-est (légèrement) pour les prochains jours…Juste le vent qu’il nous faut !


1er jour
Au départ de la Blanquilla, que le cap soit sur Grenade, Sainte-Lucie ou la Martinique, toutes les routes sont nord-est ! Le  jeu de patience de la fenêtre météo commence… Le mieux serait d’attendre du sud-est pour aller en Martinique. Sinon on peut arriver  plus au nord : Guadeloupe, Antigua voire Saint-Martin…
Une véritable expédition !
Plusieurs jours sont donc à prévoir, d’une croisière hautement hauturière, et il est de plus en  plus probable que nous remonterons par une grande traversée dès que le vent tournera au moins à l’est. Notre radar fonctionne bien et nous donnera des yeux qui voient la nuit ! Tel un Big Brother bienveillant, le radar voit tout ! Certains possesseurs de cet engin ont même tendance à dire qu’il en voit trop ! Les crêtes des vagues, par exemple, lorsque la mer est agitée. Mais pour contrer ce phénomène il suffit de réduire la sensibilité du dit radar : auquel cas il ne détectera que les embarcations de petites et moyennes tailles. En plus de cela nous faisons des « quarts » : jeter un œil à l’horizon toutes les quinze à vingt minutes pour repérer d’éventuels bateaux en « route de collision ». Par pleine lune, la nuit claire est rassurante, par contre par nuit noire, comme cela va être le cas, l’obscurité me fait peur et je rêve d’un sixième sens !

En théorie, en ligne droite directe, de la Blanquilla à la Martinique il y 270 milles au cap 54°, cap impossible à tenir puisque c’est juste dans notre nez, c’est-à-dire boute au vent….c’est là que ça coince…

Cette immensité liquide semble pénétrer intensément toutes les cellules de mon corps…je suis en parfaite harmonie avec le moindre de ses mouvements, je la sens respirer, chuchoter, gazouiller de contentement lorsque, au lieu de lutter, je compose avec elle….Je suis à l’écoute du moindre craquement, de la plus petite vibration ou gémissement, comme si autrefois, dans une autre vie ( ?) – ou un autre univers- j’avais été marin. Il est vrai que j’ai des ancêtres cap-horniers et pêcheurs d’Islande, il y a peut-être  un certain atavisme du côté de la branche paimpolaise…
1er virement de bord + 1 ris + un tour de rouleau
En six heures = 40 milles de faits
1ère nuit
Les derniers rayons du soleil couchant, délire de rouge et de rose, nous annonce-t-il du beau temps pour les jours à venir ? Tout va pour le mieux…Le disque solaire déclinant a coloré l’horizon, faisant étinceler la mer…

Pour vaincre mon appréhension je me remets en mémoire mon gros livre du cours de navigation des Glénans, épais avec ses 782 pages, véritable « bible » des voileux : il est aujourd’hui tout écorné mais combien il m’a été utile ! Je m’y suis plongée, il y a maintenant longtemps, avec une grande soif d’apprendre, dans sa lecture technique. J’y ai appris une multitude de choses astucieuses et indispensables Malgré sa volumineuse documentation c’était un livre bien conçu et parfaitement accessible. Des explications d’une grande simplicité, dépouillées au maximum et agrémentées de croquis clairs, pratiques, montraient la variété des essais auxquels se livrer pour découvrir son bateau. Avec cette lecture enrichissante tout devenait rapidement facile, évident, lumineux ! Avec tact et subtilité cet ouvrage plaisant  prépare doucement, sans brusquerie, aux diverses manœuvres d’un voilier, sans en masquer toutefois toutes les complexités ou les dangers. J’avais une sacrée bonne affaire avec ce bouquin !
2ème jour
J’ai mis une ligne à la traîne et remontais vite fait une belle bonite : les soubresauts d’agonie de ce poisson encore plein de vigueur et de frétillements spasmodiques m’éclaboussèrent de son sang et j’en fus écœurée…Jean, prestement, découpa de fabuleuses portions dans les filets, de quoi nous rassasier et nous apporter des protéines !
Je préfère les dorades coryphènes, surtout quand elles sont de taille impressionnante, parées de leurs chatoyantes paillettes vertes, bleues et or, qui malheureusement fanent très vite lorsqu’elles passent de vie à trépas, mais procurent des poêlées délectables.
La moyenne oscille entre 6 et demi et 8 nœuds, c’est pas mal, sauf que c’est pas au cap….Donc 160 milles des parcourus depuis hier matin.
ON VIRE : on a cap sur Saint Martin malgré que nous soyons par le travers de Deshaies en Guadeloupe mais on va pas faire 45 milles au moteur….
2ème nuit
J’aime quand la nuit venue une grosse lune joufflue nous éclabousse d’une luminosité diffuse, se fendant d’un large sourire, la mutine ! mais pour l’instant je n’ai droit qu’à un petit croissant naissant…
L’air frais et léger était parfumé d’une grande variété de senteurs marines. La brise, presque insignifiante, murmurait doucement en effleurant les haubans d’AFODITE…
Un firmament étoilé et un horizon dégagé nous tiennent compagnie cette nuit…Ce soir le ciel avait la couleur et la profondeur de l’infini…J’ai commencé la lecture audio des audio livres donnés par Isabelle : « Immortelle randonnée, de Jean-Christophe Ruffin »  (qui évoque son « pèlerinage » sur le chemin de Compostelle, superbe) et le « voyage de l’éléphant » de Ferragano, prix Nobel de Littérature, sur une toute autre histoire mais tout aussi captivante.
Neptune, roi des mers et des océans, a fait copain avec Eole pour nous offrir une belle journée.
L’avantage de vivre sous les tropiques est que d’une façon immuable, la journée commence par  un soleil éclatant dans un ciel bleu azur. Aussi  la bonne humeur ne peut être que de mise…Et chaque soir nous assistons à la féerie d’un coucher de soleil qui nous enchante.
La mer bruissait doucement, presque endormie…AFRODITE glissait sans bruit dans une mer calme qui brillait de mille reflets, éclaboussée par  les rayons ternes d’une lune blafarde. Dans cette obscurité énigmatique les distances semblent floues et incertaines…Il faut s’habituer et s’adapter.

Des nuages blancs, aux formes bizarres, passent rapidement devant le croissant d’une lune qui nous éclabousse de ses rayons diffus. Je contemplai à l’envi la scintillation vive des étoiles dans la voûte profonde de la nuit.

3 ème jour
Ce matin les eaux et le ciel sont d’une tranquillité profonde, un peu trop à mon gout, car AFRODITE se traine en musardant sue des vaguelettes dérisoires….Nous naviguons paisiblement.
La mer est parfaitement belle.
Un vent chaud et sec nous caresse, faisant autour de nous mille remous voluptueux. En fait il s’agissait de deux petites baleines peu farouches, à moins de dix mètres de notre AFRODITE : l’eau était claire et nous pûmes parfaitement suivre les évolutions gracieuses de ces deux cétacés.
Nous remontions un alizé assez incisif ! Carabiné même ! Nous emportant avec célérité…
Notre voilier caracole sur des vagues  bouillonnâtes d’écume qui, en nous rattrapant, se brisaient sur notre arrière en grondant…Des mouettes avides tournaient autour de nous. Nous filions bon train malgré un ris et deux tours de génois. Puis devant notre étrave le tourmenté territoire de la houle finit par s’assoupir doucement. Une vie normale put reprendre ses droits à bord d’AFRODITE.
Pour nous détendre et nous amuser il y nos amis les dauphins qui nous accompagnent en traçant des traits d’argent dans l’eau. Certains, plus curieux que d’autres, sautent au ras de notre coque pour pouvoir nous observer on dirait ! Plusieurs fois j’ai tenté l’expérience qui consiste à  me dérober à leurs regards indiscrets. Intrigués,  ces surprenantes bêtes – pas si bêtes -  sautaient alors de plus en  plus haut en poussant des cris bizarres et stridents, comme pour m’appeler ! Quand je réapparus, elles cessèrent aussitôt cet étrange manège…Ces braves animaux sont vraiment les plus petits effectuent toujours d’invraisemblables pitre. C’est pour moi  un régal et une réjouissance permanente qui m’enchante…

Le ris a été lâché depuis belle lurette et le bateau avance bien toutes voiles dehors. Encore deux jours de mer ????Le cap WIND est 160 à 66° du vent, donc c’est pas vraiment ce qu’on appelle du près !!! Le vent vient du 94 (soit à peu près Est) hier il venait du 120 (donc sud-est)
40 milles en dix heures et on est quand même contents
Mes autres compagnes habituelles sont : circonspection et pondération !...
3ème  nuit
La nuit se prête à toutes les rêveries : notre cockpit se transforme alors pour moi en observatoire idéal, offrant des échappées sur l’infini de la mer, créant une ambiance magique. L’air et la luminosité de la voute stellaire respirent comme une éternité inusable…Cela engendre un certain désœuvrement pendant mes quarts, ce qui permet à mon âme d’avoir le temps d’être effrayée d’entrevoir dans tous les clignotements de ces astres lointains des milliards d’années…Mon imagination décuple à force de contempler dans toute cette mécanique céleste l’étoile du soir, compagne de nos longues nuits de veille. Dans un ciel où les  nuages s’effilochent, une grosse lune entourée d’un arc fantomatique projette des ombres extravagantes sur ce désert liquide qui m’entoure, preuve irréfutable que Dieu a sérieusement pleuré sur son ouvrage…le firmament reflété sur les vagues a l’air de se reposer dans la mer…J’ai une façon très personnelle d’interpréter, de voir, de sentir le monde, ajoutant  une nouvelle et remarquable dimension à mes fantasmes…Parfois je vais si loin en pensées que je n’ai plus aucune notion du temps… Ce n’est que quand la teinte livide du ciel annonce le lever du jour que je retraverse à regret les chicanes qui ralentissent le temps pour revenir à la réalité…C’est pour ces petits moments éphémères et chimériques que je voyage aussi et je remercie de tout mon cœur cette croisière de me le permettre…

4 ème jour
Au moment de mettre l’eau à chauffer dans la bouilloire : rien, nada = plus de gaz ! en trois mois j’ai vidé ma bouteille de treize kilos ; il est vrai qu’entre la cocotte-minute, les pains et pâtisseries, poissons au four et 48 langoustes…e
A l’aube du 4ème jour  un somptueux lever de soleil reflète ses couleurs  sur un océan apaisé. Les bleus et les rouges intenses se dégradent doucement pour se muer en teintes roses et vertes dont les nuances incendient le ciel, promesse d’une belle journée ?  Nous sommes dans les premières flammes roses du levant…Sous un ciel outre-mer quelques cirrus angéliques s’éparpillent…

Puis ce fut la pétole, la grande « calmasse », le désespoir des voileux….Dans cette eau transformée en miroir,  se formèrent  d’immenses ronds phosphorescents que nous traversâmes avec des craintes diffuses…cette chose inconnue et inexplicable, au bord de l’irréalité, me laissa méfiante et soupçonneuse…Par moments, à  l’approche de notre voilier, s’envolaient en rafales nombreuses des poissons volants qui planaient sur de belles distances avant de replonger dans l’océan ! Quelques uns, maladroits, ou plus affolés que les autres, retombaient en frétillant  jusqu’au cockpit et au petit matin nous trouvâmes plusieurs cadavres sur le pont un peu partout !
Le soir je ne me laisse envelopper par la lumière finissante du jour et quelque chose au fond de moi me dit que l’on est bien…
4 ème nuit

Au soir, loin devant nous, une monstrueuse barre nuageuse masquait tout l’horizon : des cumulo-nimbus bourgeonnaient d’une manière inquiétante, formant et déformant leurs excroissances volumineuses…Un terrible orage se préparait nous obligeant à le traverser ! Peu réjoui par cette perspective désagréable, « l’équipage » prépara activement le voilier à cette situation belliqueuse : la nuit tombée nous longeâmes ce front monumental. Des éclairs zébraient en permanence un ciel noir et mauve, nous éclairant comme en plein jour. Quelques oiseaux retardataires fuyaient à tire-d’aile à l’approche de cette méchante tourmente. Parfois des gouttes énormes tombaient en explosant sur la surface du pont. Ce tambourinement impérieux ne couvrait pas les roulements du tonnerre qui s’en donnait à cœur joie pour nous terroriser. A notre grand étonnement nous longeâmes une grande partie de la nuit ce spectacle prodigieux, étourdissant et intimidant. Ce ne fut que quelques heures avant l’aube que le déluge s’abattit sur nous. Il était précédé de rafales de vent surprenantes, heureusement plus impressionnâtes que dangereuses pour notre AFRODITE bien vaillant. Cette zone frontale une fois passée, un rideau de pluie dense, genre cataracte des chutes du Niagara, nous lessiva,  nous trempa jusqu’aux os, liquéfiant notre moral et nos cerveaux…Plusieurs fois la foudre tomba à proximité, élevant dans les airs des nuages de vapeur et d’ozone dans un chuintement qui me glaçait d’effroi… L’électricité statique ambiante était telle qu’elle hérissait pêle-mêle  cheveux et poils…à intervalles réguliers, des flammes légères et fugitives couraient le long de nos haubans, entretenant appréhension et angoisse, nous nous attendions à être foudroyés à tout moment et nous aurions payé cher pour être ailleurs ! Au petit matin nous vîmes enfin avec soulagement l’aube blêmissant…sans que rien ne le laisse présager, rapidement, une grande merveille vint éclater et tout éclipser : le ciel s’éclaircit graduellement et un magnifique flamboiement apparut à nos yeux éblouis …Le soleil se mit à briller entre les nuages dont il activa la déroute…Un solide petit-déjeuner reconstituant redonna un peu de gaieté à nos visages fatigués…


Le vent et l’immensité liquide qui couvrent aujourd’hui les trois quarts de la planète se livrent un combat incessant et s’affrontent partout et toujours avec de grands extrêmes. Jour et nuit en navigation il faut être prêt à anticiper ses fougues, ses lubies ou ses  incartades ! D’avoir pour limite l’infini de ciel et de la mer nous met en face de nos responsabilités. Pas de voisins, pas de  gens auxquels nous référer, personne à imiter et encore moins pour nous critiquer…Et tout ce que nous faisons correspond à une réalité profonde. Notre comportement n’est plus conditionné par la société ! La vie est ramenée aux choses essentielles. Sur un voilier de grande croisière il faut toujours faire la meilleure chose au bon moment, il peut en aller de la destinée du bateau ou de la vie de l’équipage ! Pas question de faux-fuyants, de dérobades et il faut procéder de la même façon avec soi en mettant toutes les choses du bon côté pour y parvenir…Car on peut passer de la liberté à la servitude en un rien de temps, comme de la quiétude à l’inquiétude…
5ème  jour

Au cours de la nuit le vent se mue en légère brise. Tous les cierges de l’hémisphère s’allument dans le ciel, faisant ressortir l’éclat particulier de certaines étoiles…De quart, je me complais à écouter les craquements légers du voilier, le chuintement de l’eau sur les coques et les inévitables frémissements des voiles chevauchées par la brise… Toutes les mille et une petites rumeurs rassurantes, si flatteuses à l’oreille de tout navigateur...

Des amas de nuages flottent vers le sud, amoncelés comme de vastes édifices déchirant la lumière du soleil.
Nos étraves blanches d’écume déchirent des flots pressés par ce méchant vent qui redresse les lames à rebrousse-poil.
A la nuit tombante les épousailles d’un ciel noir avec une mer sombre et lugubre engendrent une cavalcade éperdue de nuages jaunâtres qu’un vent furieux chasse à travers le ciel à grande vitesse. Peu après, dans une nuit d’encre, des éclairs hachent l’horizon, plongeant dans les recoins les plus profonds. Les assourdissants coups de tonnerre roulent leurs échos sans interruption. Le ciel, mitraillé d’éclairs, se met  à déverser des trombes d’eau qui cascadent en ruisselant. L’air est à tel point saturé d’électricité que le long des haubans courent  des feux de Saint-Elme ! formant des auréoles d’aigrettes crépitantes…


Seul un ciel sans nuage et scintillant d’étoiles nous clignote son  interminable message…Oui, mais quel message ?...De nuit, sur un voilier, et par temps calme, c’est l’endroit idéal pour remonter la plus loin possible dans ses souvenirs…Dans le silence et l’immensité de l’océan, je pousse plus en avant la quête de mon passé, comblant certaines lacunes de ma mémoire, allant jusqu’au plus profond de ma conscience. Je suis bien et j’éprouve un sentiment de liberté quasiment sublime, proche de l’extase…
A une nuit paisible succède un lever de soleil flamboyant. Il fait un temps splendide et dans le ciel bleu glissent quelques cirrus en filaments…

6 èmejour
Dans l’après-midi, le ciel est pommelé, et je remarque des dorades qui tissent des arabesques au ras de la surface. Elles patouillent autour du bateau et leurs écailles jettent des éclats lorsqu’elles passent à proximité d’AFRODITE.
La mer, éternel réceptacle de l’oubli, joue la belle au bois dormant. Pas l’ombre de l’ourlet d’une minuscule vague. Rien ! Le silence absolu sous l’immense fouillis des étoiles…
Dans un ciel lumineux, barbouillé de  lambeaux de nuages qui s’effilochent, le soleil couchant prodigue une lumière sourde qui fige le décor. Je suis grisée par ce magnifique coucher de soleil ensanglantant à l’ouest une mer considérablement calmée.
Je contemple un lever de soleil flamboyant qui nimbe de rose notre élégant voilier.
La mer est belle. Notre AFRODITE force aisément sa route dans des lames raisonnables. L’eau en glissant enveloppe la carène en glissant sur elle comme pour la caresser. Au bon près nous filons rapidement. Parfois l’écume vient lécher les  hiloires. Des nuages ouatés s’accumulent partout dans le ciel d’un bleu intense. Des oiseaux tournoient sans cesse au-dessus de l’océan, annonçant des bancs de poissons. Dans notre sillage rectiligne apparait même une mouette qui, après avoir effectué le tour du bateau comme pour une brève inspection, s’élève en spirale, éclairant alternativement ses ailes toutes blanches au soleil revenu…

Le ciel grisonne lentement et gomme peu à peu l’obscurité.
C’est une belle journée, parfaite même, une de celles qui font oublier les mauvaises et pardonner à la mer tous les moments difficiles qu’elle nous a fait endurer parfois…Touts voiles dehors notre AFRODITE trace un long sillage parmi des vaguelettes argentées…


L’alizé fait vibrer le croissant de une en son premier quartier sur les eaux qui ondulent…
Un soleil tout neuf se lève, jouant dans nos voiles, projetant des ombres gracieuses sur le pont. La mer clapote. Une force tranquille se cache derrière.
Nos étraves bavardent, chantonnant la romance de la mer.
Les somptueuses couleurs que prend l’aube mangent les dernières ombres de la nuit…
Sous les regards indifférents de quelques mouettes qui chevauchent une houle légère …


6ème nuit
Et voilà qu’une tornade arrive : fin de soirée le ciel avait pris des couleurs inquiétantes en virant du noir au violet en passant par le mauve… ? Quelques petits mouvements tourbillonnaires s’amorcèrent de-ci de-là, donnant à ce phénomène orageux un drôle d’aspect inquiétant…Une calamité nouvelle allait saccager la torpeur crépusculaire…le vent avait une intensité fluctuante voire farfelue. Il soufflait à tour de rôle  de tous les points cardinaux, nous faisant tournicoter…ce sortilège persévéra jusqu’à l’apparition soudain d’une colonne en rotation, sorte de trompe d’éléphant qui pendait à la base d’un gros nuage menaçant…Cette colonne d’eau zigzaguait comme un lièvre pris en chasse, aspirant tut ce qui flottait sur la mer ! Sous nos yeux incrédules et horrifiés elle passait en grondant, ingurgitant tout ce qui se trouvait sur son passage avec une facilité déconcertante !...Puis soudain, cet étonnant caprice de la nature fonça sur nus, semant la panique à bord et nous nous réfugiâmes à l’intérieur… bouclés dans notre bateau, le souffle court, nous attendîmes en nous cramponnant que ce désastre nous engloutisse, nous absorbe, nous gobe tout entier….le cœur battant nous guettions attentivement, mais rien ne se produisit…nos yeux effrayés se lançaient des interrogations muettes.au bout d’un moment, n’en pouvant  plus,  je me risquai à jeter un œil à l’extérieur : à mon grand soulagement ce monstre vorace avait au dernier moment changé de cap ! Il était parti ravager d’autres contrées…puis très vite, comme il était venu, il disparut sur l’horizon…Ensuite pluie et vent nous harcelèrent pendant une heure, nous jouant une sérénade connue ! Là, nous avions l’habitude ! Et une certaine expérience qui nous permit d’y faire face calmement.
Puis  la nuit revint, le ciel resta clair, étincelant de deux parfois un peu voilés, semés inégalement comme des diamants éternels dans l’immensité du firmament, tandis qu’une lune d’argent baignait la mer de tous ses éclats…Quelle beauté ! J’aperçois quelques étoiles dans les échappées du ciel clair entre les nuages.
Puis l’orage a éclaté, déchirant le génois en deux : là la drisse est coince en haut et la garcette pour enrouler la toile a pété = la totale à Jean va prudemment sous le projecteur allumé et bien attaché pour tenter l’affaler la voile et la faire arrêter de battre dans les barres de flèche – le bruit est assourdissant, j’ai même craint un instant que le pare-brise n’explose…
Un petit croissant de lune, très bas sur l’horizon, ajoute une note féerique, au loin, sur la  mer. Sa clarté diffuse et trompeuse joue même d’une manière inquiétante avec une légère brume qui monte de l’eau et s’évanouit en tourbillonnant.
Résultat des courses : les 45 milles qui nous séparent de la Martinique vont être faits au moteur ! nous arrivons dans la nuit à l’anse Chaudière, bien tranquille, prêts pour un somme bien mérité…

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