CONFERENCE

VENDREDI 28 AVRIL 2017
AU GOSIER
résidence départementale à 19 h
0590 99 37 47

Après les évènements des 20 et 21  mars 1967 à Basse-Terre et leurs incidences,
JEAN-PIERRE SAINTON
professeur d'histoire contemporaine, donne une conférence qui s'inscrit dans le cycle "mémoires générationnelles et histoire : l'année 1967".



Son intervention portera sur Les évènements de Pointe-à-Pitre des 26 et 27 mai 1967

âgé de 12 ans en 1967, il a traversé la période et connu plusieurs acteurs des évènements.
Il est le fils d'un des principaux fondateurs du GONG qui fut parmi les 18 détenus et inculpés Guadeloupéens au Procès de paris de février 68

Jean-Pierre Sainton est l'auteur de plusieurs travaux de référence : Mé 67, mémoire d'un évènement (en collaboration avec R.Gama), 1985, réed.2003,
et La décolonisation improbable, cultures politiques et conjonctures en Guadeloupe et et Martinique (1943-1967), 2013


Mé 67 en Guadeloupe: une répression coloniale de plus? Entretien avec Jean-Pierre Sainton.

 
En 1848, l’esclavage est définitivement aboli en France. Dans Choses vues, Victor Hugo en évoque l’application en Guadeloupe, colonie française depuis 1635: « Au moment où le gouverneur proclamait l’égalité de la race blanche, de la race mulâtre et de la race noire, il n’y avait sur l’estrade que trois hommes, représentant pour ainsi dire les trois races: un blanc, le gouverneur; un mulâtre, qui lui tenait le parasol, et un nègre qui lui portait son chapeau. » On ne saurait mieux dire l’écart entre la loi de la jeune République et la réalité d’un archipel situé à quelques 6700 kilomètres de la métropole mais à 500 seulement des côtes américaines.
Près d’un siècle plus tard, en 1946, la Guyane et les Antilles françaises deviennent des départements français. La situation n’en est pas moins tendue lorsque, peu après, l’Union française conduit un peu partout à des indépendances. En 1959, des émeutes éclatent à Fort-de-France en Martinique. En 1962, le leader autonomiste guadeloupéen Albert Béville(1) -alias Paul Niger- et le député guyanais Justin Catayée disparaissent dans un curieux accident d’avion à Basse-Terre. Le GONG -Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe- apparaît en 1963. Il prend radicalement ses distances avec le parti communiste guadeloupéen en 1965, quand ce dernier appelle à voter pour François Mitterrand au second tour. Mais c’est un incident sordide, ajouté au cynisme de l’agresseur qui nargue la foule depuis son balcon à Basse-Terre, qui déclenche la colère populaire le 20 mars 1967: Vladimir Snrsky, un commerçant blanc par ailleurs militant à l’UNR, vient de lâcher son chien sur un vieil homme noir, handicapé. Dans la nuit du 23 au 24 mars, une bombe explose à Pointe-à-Pitre. La DST lance une enquête en direction du GONG et des milieux autonomistes radicaux. Le climat se dégrade jusqu’au 26 mai. Ce jour-là, à 15h30, un militant indépendantiste est atteint d’une balle dans le ventre. Jacques Nestor est le premier mort d’une répression qui en fera sans doute plus d’une dizaine en trois jours, un an avant un autre mois de mai qui n’en comptera aucun.
Il faut les grèves de 2009 pour que, en métropole, mé 67 soit simplement évoqué, avec un important dossier de l’émission de France 2, Compléments d’enquête. Le quarantième anniversaire, en 2007, avait été l’occasion, en Guadeloupe, de publier un livre pour enfants d’Ernest Pépin et de diffuser sur RFO un documentaire en dix épisodes de Danik I. Zandwonis, Sonjé mé 67. Avant cette date, cette répression avait fait l’objet d’une seule monographie en 1985. À cette époque, les auteurs Jean-Pierre Sainton et Raymond Gama constataient que pour 90% des jeunes de moins de vingt ans ces événements étaient totalement inconnus. Le livre est devenu depuis longtemps introuvable.
Olivier Favier: La violence coloniale accompagne la longue présence française en Guadeloupe. En 1952 déjà, il y avait eu le massacre de la Saint-Valentin, en réponse à des manifestations. Sur quelles forces s’est appuyée la domination de la métropole jusqu’à l’après-guerre?
Jean-Pierre Sainton: Ce qu’on a appelé « les événements du Moule » de 1952, au cours de laquelle les mitraillages en enfilade de la gendarmerie, en pleine rue principale du bourg du Moule, ont causé la mort de 4 personnes est en effet un événement assez symptomatique du type de violence auquel on a pu assister depuis la départementalisation aux Antilles, c’est-à-dire après l’abolition officielle de l’ère coloniale. C’est surtout au cours des années cinquante-soixante qu’il y a eu, en Guadeloupe et en Martinique des répressions meurtrières délibérées. Ceci dit, la dernière fusillade de masse qui a eu lieu aux Antilles date de février 1974. Cela s’est passé en Martinique lors d’une grève très dure des ouvriers de la banane, au cours de laquelle la gendarmerie a mitraillé d’un hélicoptère un groupe de grévistes. Mais l’événement qui coûta le plus en vies humaines et qui fut le plus terrible par son caractère systématique, son ampleur et sa durée (2 à 3 jours) fut incontestablement ceux de Pointe-à-Pitre, en Mai 1967, où on peut estimer raisonnablement qu’il y a eu plus d’une dizaine de tués dans les fusillades, celles de la Place de la Victoire et celles des véritables « ratonnades » qui ont suivi la répression des échauffourées du vendredi 26 mai après-midi. Mai 1967 à Pointe-à-Pitre fut, on peut le dire un Sétif à l’échelle de la Guadeloupe.
Comment s’explique ces répressions ? Si je voulais être expéditif, je vous aurais dit que c’est le résultat de la nature du colonialisme et que fondamentalement, celle-ci n’a pas changé de l’époque coloniale à nos jours ; mais ce serait un peu grossier. C’est plus compliqué que cela. Disons que nous avions grosso modo depuis la fin du XIXe siècle, deux types de répression militaire. L’une était quasiment cyclique, en période de grèves sucrières, c’est-à-dire entre février et mars, la troupe, appelée par le patronat des usines, à l’occasion d’un heurt avec les grévistes, faisait usage de « la force des armes » (c’est le terme consacré tant de fois rencontré dans les rapports d’archives) et abattait plusieurs personnes. L’autre intervenait surtout en période électorale qui correspondait toujours à des moments de tension extrême : le gouverneur colonial se mettait à la disposition du candidat officiel du moment, généralement au service des intérêts du patronat local et du gouvernement, pour terroriser les partisans de l’autre camp. Il est aussi arrivé qu’une forte tension sociale corresponde à un affrontement politique majeur. Ç’a été le cas par exemple en 1910 et en 1952 ; en 1952 à Moule, la gendarmerie a tiré à l’occasion d’une grève, mais elle n’a pas tiré que sur les grévistes de la canne. Elle a ouvert le feu, en pleine ville indistinctement contre une population alors largement acquise au député maire communiste de l’époque, Rosan Girard. C’était une répression sociale et politique punitive en quelque sorte.
Après 1959, l’année de la première grande émeute urbaine de Fort-de-France (Martinique) qui fit 3 morts et plusieurs blessés, on assiste à un autre type de répressions, plus politiques. L’armée intervient pour garantir le statut politique départemental et « anticiper » une situation d’insurrection nationaliste. La culture politique héritée de l’Algérie, aussi bien du coté de l’État central que des exécutants de la politique gouvernementale (hauts-fonctionnaires, cadres militaires) a joué à fond. Mai 1967 est l’exemple le plus clair de ce type de répression parfaitement réfléchie et exécutée.
Olivier Favier: En 1964, le général de Gaulle balaie de son dédain les désirs d’indépendance des Antilles françaises: «Vous n’êtes que poussières…, on ne construit pas des nations sur des poussières d’îles.» L’attachement de la métropole à ses possessions américaines s’est traduit par une départementalisation des deux archipels et de la Guyane, en même temps qu’est créée l’Union française pour les autres colonies. Cette départementalisation qui n’a pas suffi en Algérie, réussit aux Antilles, avec, il est vrai, des différences notables. Pourquoi?
Jean-Pierre Sainton: Pour répondre à cette question, il faut comprendre la complexité du cas antillais et remonter à toute l’histoire de la colonisation et de l’esclavage, au moins depuis la fin du XVIIIe siècle et il faut également comprendre tout le contexte politique qui va de l’immédiate après-guerre à l’avènement de la Ve république. C’est précisément ce phénomène que j’analyse dans mon dernier travail (qui sortira à la rentrée 2011) qui s’intitule « Cultures politiques et conjonctures (1943-1967) : la décolonisation improbable ».
Disons pour résumer, qu’à la différence des territoires coloniaux d’Afrique et d’Asie, la colonisation des Antilles ne subjugue pas des populations existantes mais crée des formations sociales nouvelles qui sont complètement nées de l’entreprise coloniale. Aucun sentiment national ne préexiste. Les peuples antillais n’ont connu que la colonisation et le système totalitaire de l’esclavage. Historiquement, cette situation a généré deux directions : l’adaptation et la résistance. Les complots, rébellions, et insurrections ont émaillé l’histoire antillaise. Certains moments ont été particulièrement intenses comme entre 1794 et 1802, où la Guadeloupe tout particulièrement, a connu un processus similaire à celui qui conduisit Saint-Domingue à l’indépendance d’Haïti en 1804. Cet épisode, dont l’épilogue a été pour la Guadeloupe le rétablissement de l’esclavage (1802) a cristallisé un sentiment identitaire et un esprit de résistance mais n’a pas pour autant généré une conscience nationale. Au contraire, sortir du colonialisme et accéder au droit, à la reconnaissance d’une personnalité humaine est un objectif politique qui s’est largement élaboré au sein d’une identification aux idées les plus progressistes, égalitaires de la nation colonisatrice. L’idéal républicain intégrationniste a été largement dominant dans l’histoire des représentations politiques des Antilles françaises. Cet idéal a été porté surtout par la classe intermédiaire des hommes de couleur. Cela, c’est la tendance historique qui n’excluait pas cependant un sentiment identitaire particulariste articulé sur la race, sans pour autant parvenir à un concept ou une idéologie de type nationaliste. En Guadeloupe, à partir de la dernière décennie du XIXe siècle est née, d’un mouvement associatif populaire, une forme de négrisme (à partir de l’action de Légitimus), c’est-à-dire de volonté de reconnaissance du nègre, descendant d’esclave, comme égal et comme acteur politique. Ce négrisme revendicatif va véritablement structurer durablement le camp politique guadeloupéen, alors qu’en Martinique, c’est la bourgeoisie « éduquée » et métisse (mulâtre) qui va capitaliser la représentation et l’idéal politique. Dans les deux cas, précisons-le, les revendications se situent à l’intérieur du champ conceptuel et des institutions de la République française. La sortie de la deuxième Guerre mondiale va accentuer ces tendances à l’intégration, d’autant plus que les Antilles venaient de vivre un retour à la discrimination et à la négation du droit sous le régime de Vichy, et que la fin de la guerre autorisait la pensée du triomphe mondiale des idéaux fraternalistes. Cette aspiration, qui s’est exprimée unanimement en Martinique et en Guyane, (les Guadeloupéens qui connaissaient un sentiment particulariste étaient plus réservés) l’a emporté d’autant plus facilement lors de la reconstitution des institutions en 1945 que cela correspondait à la volonté de l’État en pleine reconstruction et de l’image de « plus grande France » débarrassée de l’opprobre de la collaboration avec le régime raciste d’Hitler.
La départementalisation a donc été votée dans un grand consensus, à la fois comme un aboutissement logique et la seule possibilité de survie d’iles, qui, faut-il le rappeler, connaissait une crise profonde de leurs économies de production coloniale depuis le début du XXe siècle. Cette départementalisation dès le départ, était en réalité une inadéquation économique et une illusion idéologique complète. Mais cette distorsion n’a été perçue qu’au cours des années cinquante.
La perpétuation des situations d’injustice sociale, de discrimination, vont être d’autant plus ressenties à la fin des années cinquante que les Antilles vont connaitre une mutation sociologique qui les font passer de la société d’habitation héritée de la période post-esclavagiste coloniale à une situation hybride, post-coloniale, sans l’être tout-à-fait. Les contradictions entre un droit et une égalité proclamés et institués et les réalités vécues vont paraitre plus évidentes d’autant plus que les échos des évolutions politiques de la décolonisation vont arriver sur les terres antillaises. Bandoung aura ainsi un retentissement fort sur les élites intellectuelles et va être l’amorce d’une véritable révolution idéologique chez les intellectuels. Césaire qui opère lui-même cette mutation « nationalitaire » sera le grand agent de cette inversion de tendance. Mais il faut après Bandoung, prendre en compte, les effets de la guerre d’Algérie sur les Antillais. On peut véritablement dire que le nationalisme antillais est né des événements d’Algérie. À la fin des années cinquante, on peut affirmer, que la tendance à l’autonomie était en passe de devenir majoritaire, mais 1958, le retour de De Gaulle au pouvoir et l’avènement de la Ve République vont complètement briser ce processus. L’autorité de l’État est réaffirmée. Sous la conduite de De Gaulle, la France veut rentrer dans une période post-coloniale, mais on considérera parallèlement la question antillaise comme réglée par le statut de 1946. Les émeutes de décembre 1959 à la Martinique vont mettre en évidence pour le pouvoir, la non résorption de la situation coloniale aux Antilles. C’est alors que l’État va engager une politique ultra-volontariste de transferts publics massifs qu’autorise la croissance des Trente Glorieuses. Le corollaire du progrès social antillais sera un renoncement à toute velléité identitaire. L’État va s’engager dans une contre-propagande autonomiste acharnée (l’image de De Gaulle, les subsides de l’État, l’intégration des Antilles dans la France, la réalisation des promesses de la départementalisation seront opposés à la revendication autonomiste), avec, à la clé, une répression judiciaire et une surveillance politique des opposants qui n’avait été pas connu avec cette intensité jusqu’alors.
Dans cette politique jouant de la carotte et du bâton pour retourner l’opinion antillaise, l’État autoritaire gaulliste à son apogée entre 1961 et 1967, ne fera pas de détails.
La répression militaire de Mai 1967, frappe préventive d’une hypothétique insurrection nationaliste s’explique ainsi, comme l’épilogue de cette histoire.
Olivier Favier: En 1985, vous écrivez les événements de mé 67 sont souvent perçus, quand ils le sont, comme « une répression coloniale de plus, somme toute moins grave que les autres ». Pour autant, le nombre des morts s’élèvent à plusieurs dizaines et la violence coloniale cinq ans après les accords d’Évian semble à distance un tragique anachronisme. Comment expliquez cette résurgence?
Jean-Pierre Sainton: Oui, on pourrait parler de « tragique anachronisme » comme vous dites, mais qui n’est pas sans explications. Comme je le disais, 67 est l’épilogue tragique de contradictions qui se nouent bien en amont. En 1985, Raymond Gama et moi, avions déjà rendu compte des événements tels que la confrontation des sources et de la mémoire recueillie pouvait les reconstituer. La synthèse à laquelle nous étions parvenus, quoique partisane, était honnête et véridique, au point que nous avons décidé d’un commun accord de le rééditer sans grandes modifications (l’ouvrage devrait être disponible en librairie autour de juin 2011).
Mais depuis 1985, j’ai pu bénéficier de sources nouvelles et d’une prise de distance par rapport au caractère inacceptable du fait lui-même (dont enfant, j’ai été le témoin) pour comprendre ce qui s’est passé et affiner l’analyse en insérant l’événement sur la durée. Tout indique deux phénomènes forts : Tout d’abord, la politique initiée par l’État aux Antilles depuis 1960-61 a non seulement cassé la dynamique consensuelle qui s’amorçait aux Antilles sur le changement politique, mais encore va renforcer dans le tissu politique interne antillais la présence de l’État tutélaire comme seul agent capable d’offrir un avenir aux Antilles. Elle va donc approfondir la désarticulation politique antillaise. En Martinique, le fait est patent dès 1963 : lorsque les jeunes de l’OJAM sont arrêtés et déférés devant la Cour de Sureté de l’État pour propagande autonomiste, ils sont ultra-périphérisés, littéralement vomis de tous, par les mêmes personnes, qui quelques années auparavant réclamaient un réaménagement des rapports politiques avec la France. En Guadeloupe, ce sera plus tragique puisque la volonté répressive de l’État d’éradiquer le mouvement nationaliste va trouver des complicités conscientes jusqu’au sein du parti communiste de l’époque.
Quant à l’ampleur des événements eux-mêmes, qui n’ont, je le rappelle donné jusqu’à aujourd’hui lieu à aucun bilan officiel du nombre de tués, elle s’explique par un affolement des autorités qui croyaient avoir à faire à un début d’insurrection armée préparée par le GONG, l’organisation indépendantiste la plus active de l’époque. Mais cette surestimation des forces indépendantistes n’est pas le fait du policier et du troufion de base. Ce n’est pas un dérapage. Les documents prouvent que de mars (émeutes de Basse-Terre) à mai (tueries de Pointe-à-Pitre) le préfet Bolotte, qui avait été un ancien secrétaire général à la préfecture d’Alger durant « la bataille d’Alger », s’était préparé à exercer une répression judiciaire et militaire « sans faiblesse » préventive contre le GONG, considérée comme l’organisation responsable de la montée de revendication contre l’État. C’est pourquoi, dès les premières échauffourées de l’après-midi le préfet donne l’ordre de tirer et rappelle l’escadron des forces spéciales de la gendarmerie mobile, en attente depuis le 22 mars et en cours d’embarquement à l’aéroport du Raizet. La même logique de la culture de répression coloniale fortifiée en Algérie, lui fera obtenir sans discussion la permission de Jacques Foccart, secrétaire de l’Elysée et de Pierre Messmer, ministre des armées pour l’engagement de l’armée. Les opérations militaires de tirs à vue, de mitraillage des rues, de ratonnades opérées dans la nuit du 26 au 27 mai et dans la journée du 27 ont été exécutées sous le commandement du général Quilichini, chef des forces armées Antilles-Guyane. En clair, c’est bien sous l’angle d’une situation de guerre que les autorités locales et centrales ont considéré les faits.
Après, lors des premières enquêtes de la DST, qui ont suivi les événements, le pouvoir s’est bien rendu compte que le GONG n’était pas à l’origine des émeutes (celles-ci étaient spontanées et avaient une cause directe, sociale) et par ailleurs qu’il n’avait pas les moyens de susciter dans l’immédiat une révolution, même si son intention « séparatiste et révolutionnaire » était attestée. Il a alors changé de stratégie et tenté de faire du procès de février –mars 1968 non le procès des émeutiers mais un procès du discours politique indépendantiste (illégal et irrecevable) ou discours politique autonomiste (qui pouvait être, à la rigueur, entendu). Du coup, les tueries et les morts de 67 sont passés à la trappe. D’autant que les réquisitoires et les peines, relativement légères, au regard de l’intention sécessionniste des inculpés, pouvaient paraitre laver le sang des morts. Les inculpés et le mouvement indépendantiste ont considéré le procès et ses acquittements comme un succès de propagande pour l’idée nationale guadeloupéenne, ce qui est vrai dans une certaine mesure si l’on se place dans le contexte de 1968, après le traumatisme des tueries ; mais en même temps, on n’a pas perçu à quel point cela liquidait du même coup la question du nombre des morts, de la chaine de décision, etc. autant de questions non résolues qui paraissent évidentes aujourd’hui mais qui ne l’étaient pas à l’époque. Si bien que l’État s’en est sorti à bon compte, jusqu’au retour de ces questions sur la scène publique à partir de 2005.
Olivier Favier: Le 18 février 2009, le syndicaliste LKP Jacques Bino est tué par balle à quelques mètres de la maison où vivaient les parents de Jacques Nestor. Le même soir, Jimmy Lautric est grièvement blessé à la jambe. Dans le premier cas, l’enquête conclue à la culpabilité d’un père de famille de 35 ans, Ruddy Alexis. Pour autant, une enquête de Mediapart, menée par Eric Inciyan et publiée le 30 mars 2010 fait état de nombreuses irrégularités. Doit-on conclure à une répétition?
Jean-Pierre Sainton: Je n’ai pas d’analyse sur la mort de Jacques Binot et les événements de cette nuit du 18 février à Pointe-à-Pitre. Je les ai vécus en direct comme des dizaines de milliers de Guadeloupéens, mais je ne les ai pas étudiés.
A priori, je dirais que les événements sont très dissemblables. Par contre, il est incontestable que le souvenir des événements de mai 1967 a été très présent tout au long de ce mouvement social de janvier-mars 2009, aussi bien du coté des manifestants que dans la tête du préfet de 2009. Heureusement, je dirais, parce que sinon, compte-tenu du niveau de la mobilisation atteint, des événements bien plus graves auraient pu survenir.

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