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La Bataille du pont de Feneau

Sur l'Île de Ré, l'espoir d'exhumer des milliers de corps de soldats anglais, 400 ans après leur disparition

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La Bataille du pont de Feneau, de Laurent de La Hydre (1606-1656), a été acheté par le Musée des Armées en 2009.
La Bataille du pont de Feneau, de Laurent de La Hydre (1606-1656), a été acheté par le Musée des Armées en 2009. Laurent de La Hydre

RÉCIT - Une association affirme avoir identifié le site précis de la bataille de Feneau, sur l’île charentaise, où des milliers de soldats tombèrent, en 1627. Des sondages archéologiques vont être faits en 2025, avec l’espoir de déboucher sur une grande campagne de fouilles.

Rendez-vous a été donné, ce mercredi 5 juin, dans une maison blanche typique d'Ars-en-Ré, en Charente-Maritime. Autour de la table et d'une bouteille de vin blanc se tiennent Indalecio Alvarez, fondateur de l'association île de Ré patrimoine, Mathieu Vivas, maître de conférences en archéologie à l'Université de Lille, Pauline Lafille, maître de conférences d'histoire de l'art à l'Université de Limoges, et Benjamin Deruelle, historien des guerres à l'Université de Québec à Montréal, ainsi qu’un de ses étudiants, Frédéric Auger.

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L'affaire qui réunit la troupe est vertigineuse. Il se pourrait, d'après leurs calculs, que des centaines, voire des milliers, de corps de soldats anglais conduits par le duc de Buckingham, puis décimés par les troupes de Louis XIII et de Richelieu, gisent depuis quatre siècles dans les marais de l'île de Ré. Le site historique, celui de la bataille du Pont du Feneau – que la mémoire locale situait jusque-là sur un pont éponyme –, se trouverait même près d'une piste cyclable largement empruntée, à La Couarde-sur-Mer. «Cela fait vingt ans que je viens sur l'île en vacances, des années que je m'intéresse à cet épisode et j'ai acquis des certitudes», affirme Indalecio Alvarez devant ses hôtes. S’étant donné pour but de faire «émerger cette mémoire», ce journaliste de l’AFP a formé autour de lui un comité scientifique.

Devant ses membres, il se montre précis, voire intarissable, sur les détails de ce jour de novembre 1627, où une ultime confrontation entre Français catholiques et Anglais protestants, avant le siège meurtrier du bastion huguenot de La Rochelle, fit entre 1000 et 4000 morts, essentiellement côté anglais.

Grande campagne de fouilles en vue

L'épopée de ces hommes envoyés pour créer un avant-poste de la rébellion protestante en France est bien sûre connue des Rétais, au point d'être racontée dans les salles du musée de Saint-Martin-en-Ré. Mais le site précis de la bataille avait été, depuis, perdu dans les sables. «Et pourtant, tout est là, y compris une ancienne maison du XVIe, la Davière, et le chemin de 400 mètres emprunté par les Anglais», affirme le fondateur de l'association, qui projette une grande campagne de fouilles, y compris subaquatiques, ainsi qu'un vaste projet de valorisation.

Ce jour-là, Benjamin Deruelle, venu du Québec avec cet étudiant préparant une thèse d’histoire sur la bataille, a les yeux qui brillent. Selon lui, les sites archéologiques militaires de l'époque moderne «se comptent sur les doigts d'une main» en Europe, et ce chantier rétais, s'il aboutissait, serait une occasion en or de faire avancer l'histoire des guerres de religion.

L'Association Île de Ré Patrimoine ont identifié les sites, oubliés pendant quatre siècles, des grandes batailles de l'île (1625-1627). Île de Ré Patrimoine

Après le déjeuner à l’ombre, le groupe s’est évidemment rendu sur le terrain. Il a fallu zigzaguer entre les cyclistes, puis longer les marais salants, pour comprendre tous les enjeux de cette affaire. Était-on vraiment en train de «marcher» sur des corps et des armes enfouis depuis quatre cents ans? «La topographie des lieux n'a que peu évolué», fait valoir le fondateur de l'association, en entraînant tout le monde à travers les herbes folles. Entre deux bosquets touffus, une ancienne porte en bois donnant sur le domaine de la Davière, aujourd'hui propriété privée louée aux touristes l'été, ressemble à s'y méprendre à celle figurant sur un grand tableau de la bataille, signé Laurent de La Hyre (1606-1656), et aujourd'hui conservée au musée national des Armées. «Les tableaux et gravures d’époque, faits après coup, ne sont pas à proprement parler des témoignages, mais celui de La Hyre est pour nous important», indique Pauline Lafille.

On entendrait presque les cris des soldats

Sous ses pas, la route qui relie aujourd'hui la Couarde-sur-mer au Fier d'Ars, surfréquentée par les vélos, serait quant à elle le «chemin des Anglais», décrit dans le récit de Jacques Isnard, en 1629. Prenant pour repère la Davière, ce dernier indique qu'il faut marcher «le long d'une chaussée bordée par d'immenses salines», puis «300 pas» vers un petit pont de bois, puis tourner à droite, «pendant 80 pas environ», moment où le chemin fait un coudeReprenant ses instructions, quatre cents ans plus tard, le groupe débouche, au nombre de pas près, sur le «coude» décrit par Jacques Isnard – aujourd'hui colonisé par des lapins. C'est imparable, et on entendrait presque les cris des soldats anglais et des Huguenots en pleine déroute, coincés dans un goulot d'étranglement alors qu'ils tentaient de rejoindre la mer.

Dans la débâcle, les soldats anglais étaient tombés dans le marais et n’ont donc pas été enterrés par les vainqueurs. Duncan Phillips/Alamy via Reuters Connect

Ce mercredi 5 juin, dans les herbes et sous un soleil radieux, l'espoir le dispute tout de même à la prudence. «Il faut être raisonnable. Il n'y avait à l'époque pas d'état civil, et le nombre de morts est à prendre avec précaution», martèle Benjamin Deruelle. «Les sondages doivent nous permettre d'avancer.» Ces fameux sondages archéologiques, opérés sur des zones précises, sont prévus en 2025, avec l'aide financière du département Charente-Maritime et de la région Aquitaine. Ces derniers se sont laissé convaincre du potentiel des recherches, qui pourraient alimenter les commémorations de la bataille, en 2027. Ce «projet patrimonial et touristique, exhumant un moment tragique de l'Histoire, est suivi avec intérêt», a d'ailleurs confirmé le président de région Alain Rousset, à l'AFP. Pour l'instant, la communauté de communes, qui rassemble 10 communes de l'île, n'a pas encore rejoint le mouvement, observant de loin ce qui pourrait chambouler ce coin de l'île.

«L'archéologie coûte cher, et réclame un nombre considérable d'autorisations auprès des instances publiques, insiste Matthieu Vivas. Rien n'indique leur refus, mais on sait que cela va prendre du temps.» Une chance pour l'association, près de 10 hectares correspondant au champ de bataille appartiennent à la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) Nouvelle Aquitaine et au département, ce qui simplifierait les démarches.

À terme, tous espèrent retrouver des corps de soldats, avec leurs habits, bottes ou fusils. Ce n'est pas totalement exclu car, dans la débâcle, les soldats sont tombés dans le marais, et n'ont pas été enterrés par les vainqueurs dans une fosse commune, comme c'était la coutume. Or, «la vase ne comporte pas d'oxygène, ce qui permet des conditions de conservations exceptionnelles», indique Jonathan Letuppe, chef du service plongée-fouille en milieu confiné chez Éveha, un bureau d'études archéologiques privé agréé pour la réalisation de fouilles en milieu subaquatique. Selon lui, si l'eau n'est pas profonde (moins d'un mètre), les fouilles pourraient se dérouler à terre. Dans le cas contraire, il se dit prêt à envoyer des plongeurs à scaphandres. Si tant est, bien sûr, que les financements soient trouvés.

Le 6 juin dernier, l'association a exposé son projet lors d’une réunion publique dans la salle des fêtes d'Ars-en-Ré qui a rassemblé 200 personnes. Outre les fouilles, escomptées entre 2026 et 2028, un vaste plan de valorisation mémoriel est enclenché. Il mettra en valeur un arc mémoriel des guerres de religion, qui passèrent par Les Portes, Ars-en-Ré, l’isthme du Martray, la Davière et le pont de Feneau, et racontera deux ans de bataille, dont l'épopée de ces milliers d'hommes conduits par le duc de Buckingham, qui débarquèrent sur l'île pour tenter d'en faire un avant-poste de la rébellion protestante en France. Le projet prévoit l’inauguration, «en présence des autorités françaises et britanniques», le 8 novembre 2027, d’un mur des noms de soldats britanniques tombés au champ d’honneur, il y a quatre cents ans.

Au-delà du vélo, de la voile, des huîtres et des plages, cette mémoire aura de quoi séduire les 180.000 touristes, dont nombre d'Anglais, qui débarquent sur l’île chaque été.

La Davière ressemble à s'y méprendre à celle figurant sur le tableau de Laurent de La Hydre. Île de Ré Patrimoine





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