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L'armée pose avec quatre enfants indigènes qui ont passé plus d'un mois perdu dans la forêt amazonienne colombienne, le 9 juin 2023.
L'armée pose avec quatre enfants indigènes qui ont passé plus d'un mois perdu dans la forêt amazonienne colombienne, le 9 juin 2023. Colombia's Armed Force Press Office via AP
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L’odyssée de quatre enfants perdus dans la forêt amazonienne pendant 40 jours

SURVIVRE : UNE COURSE CONTRE LA MORT (1/3) - Entre mysticisme et recherches effrénées, Le Figaro vous propose de découvrir l’histoire des quatre enfants qui ont passé 40 jours dans la jungle amazonienne après le crash de leur avion.

Nicolas, Dario, Eliezer et Alex s’enfoncent dans les profondeurs de la forêt amazonienne. Il est 3 heures de l’après-midi, mais la nuit semble ne les avoir jamais quittés. Les rayons du soleil peinent à passer à travers le feuillage de cet enfer vert. Alors qu’ils avancent dans les broussailles, les quatre indigènes croisent le chemin d’une tortue. Eliezer s’en saisit et la place sur son dos : « Tortue, dis-moi où sont les enfants ou je vais dévorer ton foie », lui lance-t-il en rigolant.


Un cri de bébé retentit 50 mètres plus loin arrêtant net son entrain. Les quatre hommes accourent dans sa direction et tombent nez à nez avec une jeune fille, les yeux sombres, perçants, dans un visage creusé. C’est Lesly, 14 ans, l’aînée de la fratrie. Elle tient son petit frère de 1 an à bout de bras. Plus haut, sa sœur et son autre frère se cachent. Les indigènes les enlacent. Ils les ont enfin retrouvés après 40 jours de recherches effrénées. La tortue, elle, a rempli sa part du marché.

Le 9 juin 2023, Lesly, Soleiny, Tien et Cristin, âgés de 13 ans, 9 ans, 4 ans et 11 mois le jour de leur disparition, ont été retrouvés après avoir passé plus d’un mois dans la jungle après le crash du petit avion dans lequel ils voyageaient. Leur survie a été immédiatement considérée comme un miracle dans le monde entier. Mais, pour les indigènes de Colombie, les enfants s’en sont sortis par eux-mêmes, aidés par les esprits de la forêt. « Dans la jungle, personne ne se perd. Ce concept n’a pas de sens dans la vision autochtone du monde », explique Alex Rufino, indigène ticuna, guide et expert en survie dans la jungle, dans une interview accordée à la BBC.

En réalité, ces quatre enfants ont été livrés à eux-mêmes pendant plus d’un mois. Alors qu’ils venaient de sortir indemnes d’un crash, ils se sont battus pour survivre dans la forêt.

Le premier miracle : survivre à un crash

Leur avion décolle peu avant 7 heures ce lundi 1er mai 2023. À son bord se trouvent sept occupants : Magdalena et ses quatre enfants, un chef indigène et le pilote. La mère de famille allait rejoindre Manuel, le père de ses deux derniers, à San José del Guaviare. Elle quittait tout ce qu’elle avait connu, laissant derrière elle ses amis et de nombreux souvenirs. Manuel avait dû se réfugier à Bogota, se disant menacé par des groupes hors la loi. Selon des proches, l’homme battait en réalité sa femme. Aujourd’hui, il est accusé d’abus sexuel sur l’aînée de la famille, Lesly.

Le moteur lâche une première fois alors que l’avion survole la végétation, toujours plus dense. Le pilote lance un premier appel à l’aide 35 minutes après le décollage. Il arrive à reprendre de l’altitude, mais contacte à nouveau la tour de contrôle : « Mayday, mayday, mayday, mayday, 2803, 2803, le moteur est à nouveau en panne… je vais chercher une rivière… ici j’ai une rivière sur la droite… » Après ce dernier échangel’avion pique dans la jungle.

L’armée est immédiatement envoyée pour retrouver l’appareil accidenté. L’opération Esperenza est activée. Depuis les airs, des hélicoptères et des avions survolent la zone de recherche. Le temps est loin d’être clément dans cette forêt, où il pleut près de 16 heures par jour. La pluie constante rend la visibilité difficile. À terre, les militaires et les indigènes forment une collaboration historique. Mais ils peinent également à retrouver la trace de l’avion. La jungle est particulièrement hostile, il est difficile d’y voir à plus de 15 mètres.

Alors que l’espoir semble s’envoler, l’épave de l’appareil est finalement retrouvée le 16 mai à la verticale, le nez planté au sol, au milieu d’une végétation dense. Le pilote est découvert mort à l’intérieur du cockpit. Le chef indigène et la mère de famille sont également sans vie. Aucune trace des quatre enfants à proximité.

L’épave de l’avion dans la forêt amazonienne colombienne, le 19 mai 2023. - / AFP

Des indices laissés par les enfants

Au fil des jours, les militaires tombent sur plusieurs indices qui laissent présager que les enfants sont toujours vivants : d’abord une couche-culotte, un téléphone portable, un biberon, puis des empreintes de pieds ou encore deux abris de fortune faits avec des branchages.

Une empreinte de pas trouvée dans la forêt le 18 mai 2023. HANDOUT / AFP

Les enfants sont vivants, mais impossible de les trouver. C’est comme rechercher, non pas une aiguille dans une botte de foin, mais « une minuscule puce dans un vaste tapis », déclare le général Sanchez, à la tête du commandement des opérations spéciales conjointes des forces armées colombiennes. Ils passent des messages enregistrés par la grand-mère de la fratrie via des haut-parleurs. Mais, dans la jungle, on ne peut pas rester tranquille. Par instinct, il faut bouger. Pour chercher de « la nourriture ou des choses qui permettent de mieux passer la nuit », a affirmé à la BBC l’indigène Alex Rufino.

Militaires et indigènes ne perdent pas espoir. Contrairement aux citadins, les enfants de Magdalena sont capables de s’en sortir. Ils appartiennent à la tribu huitoto, un peuple d’Amérique latine qui apprend la chasse, la pêche et la cueillette dès le plus jeune âge. La famille s’accorde pour dire que les aînés, Lesly et Soleiny, connaissaient bien la jungle. Ils jouaient régulièrement à un « jeu de survie » ensemble.

La fratrie a grandi avec leurs parents à Araracuara, une ville qui a la particularité de se trouver au cœur de la jungle amazonienne. En 1939, le président colombien de l’époque avait ordonné la construction d’une prison à ciel ouvert, où étaient regroupés tous les criminels les plus dangereux. La descendance de ces criminels s’est habituée à côtoyer les serpents, les jaguars et les plantes vénéneuses.

Nourriture, prédateurs, moustiques…

Les premiers jours, Lesly et ses frères et sœurs ont pu se nourrir de ce que les Colombiens appellent la farina : un type de farine grossière dérivée du manioc, qui est un aliment couramment consommé dans les communautés autochtones d’Amazone en Colombie. Ils en avaient à bord de l’avion.

Au fil des jours, l’armée a envoyé des paquets de survie, contenant entre autres de la nourriture, dont de la farina et des sérums hydratants. Les enfants ont aussi dû se servir dans la jungle : notamment en regardant les singes, qui se nourrissent eux aussi de fruits. Ils ont pu manger des vers, des fourmis, de la camomille ou encore des graines rouges qui existent en abondance lors de cette période de l’année.

Un fruit mangé retrouvé par l’armée colombienne, qui était sur les traces des enfants disparus dans la jungle en Colombie, le 30 mai 2023. HANDOUT / AFP

Il a fallu aussi se protéger de l’environnement et des prédateurs. Il est possible de croiser aussi bien des guêpes, des scorpions ou encore des araignées venimeuses que des jaguars, des serpents particulièrement venimeux, comme le serpent verruqueux.

La jungle est aussi infestée de moustiques : « Ils ont dû utiliser des techniques pour nettoyer leur corps afin de se protéger des moustiques », a expliqué Alex Rufino. Ils ont su utiliser les éléments de la jungle, comme la pluie : « Vous pensez que ça les affecte, mais en réalité la pluie les protège, elle les baigne, elle les nettoie. »

Des images des abris ont été transmises à la famille des enfants. Pour leur tante, il ne faisait aucun doute que Lesly était à l’origine des constructions. Elle applique les mêmes techniques qu’elles utilisaient ensemble pendant des jeux, lorsqu’elles étaient plus jeunes : « Nous avions l’habitude de construire de petites huttes lorsque nous jouions et, d’après les photos qu’ils nous ont envoyées, je pense que c’est elle qui les a faites ». Pour elle, cela ne fait aucun doute : la grande sœur a permis à ses petits frères de survivre.

Une relation particulière avec la nature

La cadence des recherches avance différemment entre les groupes des militaires et les autochtones. L’armée est bien équipée entre les chiens renifleurs, les données GPS et les caméras thermiques. Tandis que la garde indigène, qui regroupait des dizaines de communautés, scrute la cime des arbres et le sol, s’intéressant aux branches cassées et communiquant avec « les esprits de la forêt ».

Manuel Ranoque serrant la main d’un membre de l’armée colombienne qui recherche les enfants disparus dans la forêt amazonienne colombienne le 24 mai 2023. COLOMBIA ARMY PRESS / AFP

Nous sommes le soir qui précède les retrouvailles avec les enfants, le 8 juin. Le chamane El Rubio, qui menait les indigènes, boit du yagé, une boisson hallucinogène à base de lianes. Il fait alors un « voyage » et communique toute la nuit avec les esprits de la forêt. D’après lui, ces derniers lui indiquent la position des enfants. Le lendemain, il parle de cette piste au groupe. C’est ce jour-là que Nicolas, Dario, Eliezer et Alex tombent sur Lesly et son frère.

D’après les indigènes, les enfants n’ont jamais été seuls. Ils étaient accompagnés de leurs ancêtres, mais aussi par l’esprit de leur mère. D’autres disent qu’ils étaient cachés par un lutin de la forêt. 

À part quelques lésions cutanées, des piqûres d’insecte, et une malnutrition, tous les enfants, ainsi que le bébé, ont été retrouvés indemnes après quarante jours d’errance. Un an après, ils ne se sont toujours pas confiés sur ce qui s’était réellement déroulé au cœur de cette jungle. Miracle ou résilience, le secret appartient désormais aux esprits de la forêt.

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