“Serviteur du peuple”, l'étoffe d'un héros








la série loufoque et outrancière du président ukrainien Volodymyr Zelensky





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Dans la série humoristique “Serviteur du peuple”, diffusée entre 2015 et 2019 en Ukraine, Volodymyr Zelensky incarne un prof d’histoire intègre qui devient tout à coup président de la République. À voir sur Arte.tv jusqu’au 18 mai.

L’histoire est désormais connue : avant de devenir président de l’Ukraine en 2019, Volodymyr Zelensky a été le vainqueur de l’édition locale de Danse avec les stars en 2006, puis l’acteur star d’une série humoristique à succès, Serviteur du peuple, dans laquelle il incarnait... le chef d’État ukrainien. Diffusées à partir de 2015 sur la chaîne 1 + 1 et produite par la société Studio Kvartal 95, fondée par Zelensky lui-même, les trois saisons de la série ont rencontré un immense succès dans leur pays d’origine. La première, qui compte vingt-trois épisodes, est visible sur Arte.tv jusqu’au 18 mai.

Le scénario : Vassili Goloborodko (joué par Zelensky), un prof d’histoire fan de Plutarque qui vit encore chez ses parents, est filmé en cachette par un de ses élèves alors qu’il pousse un violent coup de gueule contre la corruption et l’inefficacité de la classe politique : « Ces salauds arrivent au pouvoir, et ils volent, volent, volent. Et tout le monde s’en fout ! » Diffusée sur le Web, la vidéo devient virale. Avec un résultat inattendu : Goloborodko, du jour au lendemain, est élu président de la République.

Confronté à une administration envahissante, à des gardes du corps omniprésents et aux questions offensives des journalistes, le nouveau venu est désarçonné. Son inexpérience lui vaut d’abord d’être mené à la baguette par le Premier ministre, un vieux renard de la politique, de mèche avec les oligarques qui tirent dans l’ombre les ficelles du pays. Mais au fil des épisodes, Goloborodko va s’émanciper et imposer sa marque, faite d’intégrité et de sincérité.

Un humour acide plutôt efficace

Un pitch invraisemblable exploité jusqu’à la moelle par Serviteur du peuple, qui fait de son protagoniste un défenseur des intérêts du peuple face à une élite vautrée dans ses privilèges. Loufoque et outrancière, la série n’est pas sans qualités, même si certaines situations évoquent l’univers sirupeux des sitcoms (notamment les scènes avec la famille de Goloborodko) et qu’elle a tendance, sur la longueur, à tourner en rond et à sombrer dans un populisme embarrassant. Plusieurs références à la culture ukrainienne risquent en outre de laisser de côté le spectateur français.

En revanche, on est à plusieurs reprises surpris par la virulence des attaques contre la classe politique locale. Les liens occultes entre milieux d’affaires et politiciens sont ainsi abordés sans ambages, avec un humour acide plutôt efficace.

De son côté, Zelensky est convaincant dans le registre éberlué du candide propulsé maître du pays. Un rôle qui lui a valu, dans la vraie vie, de mener campagne à la tête d’un parti baptisé lui aussi « Serviteur du peuple », et d’être élu président avec 73,2 % des voix au second tour. Jouant habilement de l’identification à son personnage, l’ex-clown avait lui aussi fondé son discours sur la dénonciation des élites et la lutte contre la corruption.

Un sidérant décalage avec les tragiques images actuelles

Tout le monde, lors de son élection, avait souligné le côté prémonitoire de la série. Impossible, pourtant, de regarder aujourd’hui cette dernière sans ressentir un sidérant décalage entre les images proposées par Serviteur du peuple et celles, tragiques, qui occupent les écrans depuis le 24 février.

Il y a d’une part l’abîme qui existe désormais entre le personnage joyeusement naïf de Goloborodko et la personne bien réelle de Volodomyr Zelensky, que ses récentes apparitions télévisées nous ont montré grave, le visage fermé et les yeux cernés, à mille lieues de l’ingénuité de son double fictif.

Mais il y a aussi et surtout, tout au fil de la série, cette sensation douloureuse de visionner des images de l’Ukraine « d’avant ». Une Ukraine encore relativement insouciante, où les personnages s’aiment et se chamaillent dans les rues ensoleillées de Kiev, où l’on parle de nourriture, de fringues et de programmes télé, où l’on rit et l’on chante au rythme d’un tube du groupe star Dzidzio, qui fait une apparition saugrenue dans la série. Un pays où, même si la politique est déjà un objet de colère et d’inquiétude, il est encore possible de la traiter par l’humour et la dérision.

À noter qu’en Russie la série n’a pas eu l’heur de plaire aux diffuseurs, en raison sans doute de la présence de quelques piques cinglantes sur Poutine. Montrée en 2019 sur la chaîne TNT, Serviteur du peuple y a été retirée de l’antenne après seulement... trois épisodes.

À voir
TServiteur du peuple, saison 1, créée par Volodymyr Zelensky, Ukraine, 23 × 30 mn environ. Sur Arte.tv.





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