CHRONIQUE

À Attilio Contoli qui hélas ne lira pas cette chronique. 

Camarade Attilio, on ne t'oubliera pas.

Chronique du douzième jour du mois d’octobre de l’an de très très grande disgrâce vingt et un.

Où il est question d’une grande perte et d’une canonisation annoncée.

Le Roy fut en grande affliction : le baron de la Moquette passa de vie à trépas. Dans tout le pays, on fit sonner le glas pour celui qui s’était sa vie durant conformé aux grands préceptes de la Startupenéchionne : prendre aux pauvres afin de s’enrichir, ce qu’il avait fait avec une grande exubérance et une sainte constance, rachetant moult fabriques à vil prix avant que de mettre à la rue les ouvriers et les ouvrières, omettant de déclarer au surintendant des finances du royaume ses mirifiques bénéfices, distribuant ici et là pots-de-vin, oboles, friandises, offrant généreusement du mauvais café, selon les bons offices de qui il souhaitait acheter, soustrayant de la banque de Lugdunum quelques quatre cent millions d’écus, tartarinant et moulinant à l’envi face aux Haineux qu’il prétendait vouloir terrasser. On n’en finissait plus de le louanger tant la liste de ses hauts faits d’armes était fournie. Il eût fallu plusieurs pages d’un riche livre d’heures pour la conter. Notre Turpide Bibelot envisagea de le canoniser selon les rites de l’Église du Saint-Capital. On ferait enseigner sa geste dans les escholes afin qu’il servît d’exemple à suivre.  La Reine, Dame Bireguitte Ravalée de la Façade, se rendit fort dévotieusement à ses premières funérailles à Lutèce, lesquelles furent suivies de secondes funérailles dans sa bonne ville de Massalia. Il s’en fût de peu que Sa Navrante Désolation ne décrétât un jour de deuil dans tout le pays. On fustigea sévèrement tous les pisse-vinaigre qui osèrent, les impudents, faire savoir que ce baron avait été parfois brutal et cruel, cassant et hautain avec le petit peuple, et qu’il avait au final brassé autant d’air qu’un moulin sans produire grand-chose, à part du vide, de la désolation et beaucoup de dettes.

Pour se distraire de cette grande affliction et cette immense perte, le Roy fit donner un grand raout dans la bonne ville de Monspuelium. On y convia quelque trois mille Africains, dûment triés sur le volet. On avait négligé d’inviter - comme il se faisait selon l’ancien usage -  les rois et les chefs de tribus, car il fallait de la jeunesse, et encore de la jeunesse, pour servir d’écrin à Notre Absolu Joyau, afin qu’il brillât au firmament de Sa Gloire. La Startupenéchionne allait à nouveau se porter au chevet de l’Afrique, ce continent dont l’ancien roi Niko du Petit Marécage avait autrefois affirmé qu’il était « l’homme malade du monde » et que la Startupenéchionne entendait maintenir en sujétion pour mieux le piller et l’exploiter – art que Sa Bouffonne Hypocrisie se piquait de pratiquer mieux encore que ses prédécesseurs. Las ! Une femme, une habitante d’un de ces royaumes lointains, usant d’une belle et haute parole, admirablement prononcée dans cette langue qui était tout autant et plus encore la sienne que la nôtre - beaucoup, dans l’ancien royaume des Francs ne s’en estimaient-ils point les seuls détenteurs, se gaussant des Africains ? - se mit en demeure d’admonester le Roy. Notre Piteux Gâte-Sauce fut ainsi sommé de «récurer » ses « marmites », faute de quoi il se trouverait bientôt seul à table, « avec un appétit difficile ». Les Conseillers durent mander en grande urgence force médicastres afin afin qu’ils administrassent au Monarc, au moyen d’un clystère, quelques potions et autres lavements afin de lui faire passer la bile qu’il avait fort amère.

Pendant ce temps, le duc du Havre, Monsieur de la Flippe, annonça à grands renforts de hérauts et de trompette, son retour d’exil. Il avait désormais sa propre Faction. Les mites continuaient de lui manger la barbe, mais ce brave n’en n’avait cure. Il affirmait vouloir se ranger aux côtés du Roy afin de lui renouveler son allégeance et de concourir sous ses couleurs lors du Tournoi. Or il se disait que les desseins du duc, étant, comme sa barbe, en demi-teinte, cachaient quelque fourberie. On lui prêtait l’envie de doubler Sa Tressautante Altesse sur la droite et de réitérer la botte de Nevers, cette feinte dont le Roy avait usé avec son suzerain Françoué le Scoutère, conduisant ce dernier à déclarer forfait pour le Tournoi. 

Pour l’heure, les Grands Saigneurs de la Phynance faisaient monter le vicomte de la Zizanie en lice.    Ce dernier n’en finissait plus de s’enfler, telle la Grenouille de monsieur de La Fontaine. Madame la ChatelHaine de Montretout était fort marrie de ce que le vicomte occupât toutes les gazettes, et elle s’escrimait la pauvrette à se faire voir sous son meilleur jour : « j’ai une sensibilité sociale qui dépasse celle de monsieur de la Zizanie » avançait-elle aux gazetiers qui lui tendaient désormais leur crachoir avec un brin de condescendance à laquelle elle n’avait point été accoutumée. Il n’était jusqu’au vieux baron de Nakun-Oeil, la père de la ChatelHaine, qui ne se sentît tout émoustillé par les éructations du vicomte, lesquelles étaient jumelles des siennes, quand il pouvait encore en émettre.

Le vicomte et la ChatelHaine s’entendaient sur une chose : nul ne pipa mot lorsqu’on apprit au grand jour ce que l’on savait sous le manteau depuis longtemps : l’ église papiste avait bel et bien fermé les yeux sur de fort navrantes pratiques d’alcôve de la part de ses clercs sur de jeunes âmes dont on leur avait confié la garde et l’élévation spirituelle. Ils usaient sans vergogne de ces innocents pour satisfaire leurs coupables penchants. Les prélats, bien que les victimes eussent demandé leur intercession, absolvaient sans aucun état d’âme leurs troupes. Dieu pourvoirait au salut des uns et des autres. « La confession est au-dessus des lois de la république » tonna l’un d’entre ces ensoutanés, monseigneur du Gruyère. Monseigneur le duc du Dard-Malin ne releva point, lui qui avait rappelé aux mahométans quelques semaines auparavant qu’ils devaient se soumettre aux lois de la Startupenéchionne.  L’église romaine eût-elle été mahométane qu’une nouvelle Croisade eût sur-le-champ été emmenée par le vicomte de la Zizanie ou madame de Montretout, à moins qu’ils ne se fussent étripés sauvagement pour savoir à qui revenait le droit et le déshonneur de la mener.  Notre Sépulcral Archidiacre, qui s’était fait transporter dans le lointain royaume de la Sylvanie,  salua « l’esprit de responsabilité » de l’église romaine de la Startupenéchionne. Il y avait là du courage et de la lucidité, qualités que Sa Dégoulinante Tartufferie savait reconnaître pour les pratiquer Elle-Même avec panache. 

Ainsi en allait-il au Royaume du Grand-Cul par-dessus Tête au mitan de ce mois d’octobre de l’an vingt-et-un. On ne parlait plus des miasmes visontins, mais on continuait de traquer sans relâche les Hérétiques.




El Greco, l'enterrement du comte d'Orgaz.





Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

📽🎞🎬🎥

prix Nobel de littérature

POMMES DE TERRE "GROSSE LOULOUTE"