Jane Birkin et Jacques Doillon Agip/Bridgeman Images

L'homme, qui partagera sa vie pendant une décennie, lui permet de se réinventer, tandis que Serge Gainsbourg lui offre ses chansons les plus déchirantes (Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve, Les Dessous chics). Lucide, il lui fait chanter, en 1987 : « Tu as eu plus qu'un autre/ L'meilleur de moi… ». Mais celui qui va le mieux la révéler dans sa mue est peut-être Patrice Chéreau. Bouleversée par le cinéaste, elle croise deux ans plus tard le chemin de l'homme de théâtre. Il lui offre le rôle de la Comtesse dans La Fausse Suivante, de Marivaux. Dans cette pièce classique du répertoire français, la petite Anglaise, qui aborde désormais la quarantaine, dessine les contours d'une personnalité plus complexe, avec une belle virtuosité. À la fin des années 1980, Jane s'affranchit encore plus en décidant de chanter pour la première fois sur scène. « Je voulais être entendue pour les paroles et les musiques de Serge. Quand je lui ai annoncé, il m'a dit : “Tu vas faire un effort, quand même ? Porter du rouge à lèvres, te gonfler les cheveux.” Alors que j'avais pris la décision de me couper les cheveux, de ne pas être maquillée et de porter des vêtements de garçon ! Il avait un peu peur pour moi, peur que les gens ne me suivent plus… »

C'est audacieux de prétendre valoir quelque chose J'ai été très gâtée avec vingt ans de chansons de Serge, entre Je t'aime moi non plus, et mon album Amours des feintes, qu'il a terminé d'écrire trois mois avant de disparaître. À sa mort, je ne savais pas si j'étais indispensable à la chanson française. 

À 40 ans, Jane Birkin impose l'allure androgyne qui est devenue sa marque, et entame une relation passionnelle avec la scène. Mais c'est véritablement après la mort de Gainsbourg, en 1991, qu'elle prend son envol, en écrivant la pièce de théâtre Oh ! Pardon tu dormais… Si elle noircit un journal intime depuis sa plus tendre jeunesse - il sera publié en deux volumes entre 2018 et 2019 -, c'est la première fois qu'elle dévoile son écriture. En 1992, la pièce est adaptée en film. « Si j'ai osé faire ce film, c'était grâce à Jacques Doillon. Il m'a dit : “Sois courageuse, va au bout.” »

Son courage, Jane Birkin aura maintes occasions d'en faire la démonstration. Entière, elle s'engage auprès d'Amnesty International en qualité de porte-parole. Elle milite activement pour la libération d'Aung San Suu Kyi lui consacrant une chanson en 2008. Elle n'hésite pas à défiler. Elle embrasse aussi les causes du sida, de l'Algérie, du Tibet, s'engage auprès des «Enfants de la Terre» avec Yannick Noah. Une vraie passionaria, généreuse et disponible. Elle participe aussi à trois spectacles des Enfoirés pour les Restos du cœur, dans la deuxième moitié des années 1990. Au moment où l'on pensait tout savoir d'elle, elle surprend son monde en publiant en 2008 un album de chansons dont elle a écrit seule tous les textes. Un tournant important dans une carrière de chanteuse presque tout entière placée sous le signe de son ancien mentor. « C'est audacieux de prétendre valoir quelque chose », disait-elle modestement. « J'ai été très gâtée avec vingt ans de chansons de Serge, entre Je t'aime moi non plus, et mon album Amours des feintes, qu'il a terminé d'écrire trois mois avant de disparaître. À sa mort, je ne savais pas si j'étais indispensable à la chanson française. »

Après la disparition de son mentor, en 1991, elle avait d'abord consacré un album de reprises de morceaux que Gainsbourg avait écrits pour d'autres (Versions Jane, en 1996), avant de donner le spectacle Arabesque, lecture arabo-andalouse du répertoire de son maître chanteur. Quelques années plus tard, c'est dans des lectures symphoniques qu'elle défendra le répertoire gainsbourgeois aux quatre coins du monde. Déployant une énergie colossale, elle affirmait une personnalité nouvelle, plus grave, après la mort de sa fille aînée Kate Barry, défenestrée à l'âge de 46 ans en 2013.

Photographe reconnue, la jeune femme signera plusieurs portraits saisissants de sa mère. « Être vue par elle, cela a donné des choses merveilleuses. Elle était tellement exacte dans les lieux qu'elle avait choisis. C'était une visionnaire », nous confiait-elle en 2014. L'artiste impose une photo où on ne voit pas le visage de sa mère sur la pochette de l'album Rendez-vous, en 2004. Un disque de duos qui la voit partager le micro avec des stars internationales comme Caetano Veloso, Bryan Ferry ou Paolo Conte, et les Français Alain Chamfort, Miossec, Souchon et Daho. Quelques années auparavant, la jeune quinquagénaire avait repris le chemin des studios en interprétant des titres inédits, les premiers dus à d'autres auteurs-compositeurs que Serge Gainsbourg, de Manset à Zazie, en passant par Mc Solaar. Pourtant, en tant qu'interprète, Jane Birkin peine à se détacher de la présence écrasante de Serge Gainsbourg, dont l'ombre plane de plus en plus intensément sur la musique française. Après avoir tant œuvré pour la reconnaissance internationale de Serge, Jane assistera, heureuse, à la naissance d'un culte parmi les musiciens les plus en vogue de la scène anglo-saxonne, de Sonic Youth à Beck, avec qui elle chante L'Anamour en duo en 2000.

Enfants d'hiver ne connaîtra pas un grand succès mais permettra à Jane Birkin de s'envisager un avenir comme auteur. Elle signe le scénario et la réalisation de Boxes, un film autobiographique où elle retrouve son ami Michel Piccoli. Avec lui, et Hervé Pierre, de la Comédie-Française, elle présentera une lecture des textes de Serge au Théâtre de l'Odéon, sous le titre Gainsbourg, poète majeur, en 2014.

Tombé sous le charme de l'écriture de la dame, Étienne Daho, un ami de la famille, l'encourage à signer de nouvelles chansons. « Étienne a été un moteur, avec ses musiques et celles de Jean-Louis Piérot. Ça a été une telle aventure », expliquait-elle en 2020, fière du disque qui marquait sa seconde incursion dans l'écriture de chansons, Oh Pardon, tu dormais ! Jane Birkin n'y faisait pas abstraction du drame qui l'avait frappée, la mort de sa fille aînée, Kate, notamment sur le très cru Cigarettes (« une chanson écrite dans la détresse de son absence ») ou Ces murs épais, qui évoque ses visites sur la tombe de Kate. « Le cimetière, c'est une frayeur de la réalité des choses, on dépose les fleurs vite et on se casse. »

À mille lieues de la muse éternelle de Gainsbourg, Jane Birkin s'affirmait en femme forte et digne avec un vécu et une autorité. « Ayant porté l'œuvre de Serge, je pouvais enfin avoir l'audace d'être moi-même. » Des ennuis de santé l’éloigneront de la scène et ses apparitions publiques se feront plus rares. La dernière remonte àla cérémonie des César en février 2023 pour le documentaire, Jane par Charlotte, réalisé par sa fille.

Quoiqu'elle aura fait, Jane Birkin aura toujours été assimilée à Serge Gainsbourg. Loin de s'en offusquer, elle en avait pris son parti depuis longtemps. « Je ne peux pas bouder mon époque avec Serge. Si j'ai été acceptée à l'étranger, c'est grâce au succès de sa chanson Je t'aime moi non plus. Elle m'a permis d'aller chanter à Hongkong et à Jakarta, au Vietnam, à Buenos Aires, en Russie… C'est très étrange d'avoir participé à un disque aussi historique ! Sans lui, je n'aurais rien fait du tout. »

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