MORT DE MAUPASSANT
L'auteur de Bel-Ami disparaît le 6 juillet 1893, à 42 ans, des suites de la syphilis. Dans les journaux, les hommages émus de ses amis et confrères se multiplient.
Le 7 juillet 1893, Le Figaro, à l'instar de tous les autres titres de la presse nationale, a une triste nouvelle à annoncer à ses lecteurs :
« Maupassant est mort.
Il s'est éteint après plusieurs journées de convulsions douloureuses et sans avoir repris connaissance, hier, à onze heures du matin.
Mais il y a dix-huit mois qu'en réalité les Lettres françaises portaient le deuil de cet artiste admirable. C'est par une brumeuse matinée d'hiver, le 7 janvier 1892, qu'il nous fut ramené de Cannes où, dans un premier accès de délire, il avait tenté de se suicider. La face blême et déjà maigrie, l’œil hagard, il se laissa glisser hors de son wagon, comme hébété [...].
Et ce fut pour tous ceux qui étaient là une vision lamentable – comme le passage d'un spectre... On eut beau nous rassurer: « Névrose... Surmenage... Délire passager... » nous eûmes l'impression nette que c'était bien fini, et que Maupassant était mort. »
Dans cet article, Émile Berr évoque à demi-mot une réalité bien connue de tous les proches de l'auteur de Bel-Ami et du Horla : l'écrivain était atteint d'une paralysie générale (ancien nom de la méningo-encéphalite) due à la syphilis, qu'il avait contractée seize ans auparavant. Depuis quelques années, son existence était devenue un vrai calvaire.
Victime d'une grave détérioration de son état physique et mental, et devenu méconnaissable, Maupassant avait tenté de se suicider le 2 janvier 1892. Avant d'être interné dans la clinique du psychiatre Émile Blanche, où il devait mourir dix-huit mois plus tard, à l'âge de 42 ans.
Dans le public et parmi ses nombreux amis du monde journalistique, l'émotion est grande. Le Journal va interviewer plusieurs auteurs célèbres pour avoir leur réaction : parmi eux, Emile Zola.
« M. Zola fut, on le sait, un des amis les plus intimes de Guy de Maupassant. Nous lui demandons son opinion sur l'homme et sur l'écrivain.
— L'homme, nous répond-il, était charmant. Je le vis pour la première fois chez Flaubert. C'était, alors, un tout jeune homme, à peine âgé de vingt-deux ou vingt-trois ans. Flaubert avait pour lui l'affection d'un père. Je me souviens qu'il lui corrigeait ses premiers essais littéraires comme un professeur corrige un devoir d'élève, s'emportant au sujet d'un adjectif impropre, raturant des mots et des phrases pour les remplacer par d'autres [...].
Quand Guy de Maupassant nous apporta Boule-de-Suif, nous demeurâmes tous interloqués. « C'est Flaubert qui a fait ça, pensions-nous. » — Non, ce n'était pas Flaubert, c'était bien Guy de Maupassant. La suite le prouva. Mais, malgré tout, Boule-de-Suif est resté, selon moi, son chef-d'œuvre.
Enfin, déclare Zola, Guy de Maupassant fut toujours un admirable ami. Son humeur était toujours égale. Sa conversation nous amusait beaucoup ; il mettait beaucoup d'art à conter de petites anecdotes. Il devenait même parfois hâbleur ce qui, du reste, n'ôtait rien au charme de sa causerie.
Ce fut aussi un charmeur de femmes. Toutes lui étaient acquises. Il avait cette galanterie, cet esprit fin et cette souplesse de manières qu'elles apprécient. »
Joris-Karl Huysmans, l'auteur d'À rebours, qui avait participé en 1880 avec Zola et Maupassant au recueil naturaliste Les Soirées de Médan, est également interrogé, chez lui (alors qu'il termine son dîner).
« — Bah ! fait-il, la bouche juteuse, Maupassant est donc mort ? Parole ! vous me l'apprenez.
— La nouvelle vous attriste-t-elle ?
— Je suis très étonné. Tout de même, je ne m'attendais pas à ce prompt dénouement. Tant de bruits contradictoires ont couru sur sa maladie !
— J'attends l'oraison funèbre.
— Dame ! il fut un très bon garçon. Il fut surtout un brave homme, d'une amabilité souveraine ; et serviable, à quel point ! [...]
— Oui, mais, de l'écrivain, que direz-vous?
— Il fut un de ceux qui traitèrent le mieux la nouvelle en France. Il avait une machine de simplicité. J'aime moins ses vers, parnassiques réminiscences. Oui, je préfère ses nouvelles, ses romans. Ce qui a « sorti » Maupassant, c'est Boule-de-Suif. Des six nouvelles réunies sous le titre de Soirées de Médan, c'est incontestablement la meilleure [...].
— Quelle place lui assigneriez-vous dans les lettres ?
— Hem, pas commode ! Comme nouvelliste, il peut rester, avec ses surprenantes qualités de clarté, de netteté. Dans le roman, il est moins équilibré, moins solide que dans la nouvelle. Des coins, cependant, des coins.
— Selon vous, son plus beau roman ?
— Il me paraît que c'est Bel-Ami.
— Et, quant au style ?
— Style musclé, solide, clair, qui donnait bien l'idée de la force de l'homme, un beau mâle. Mais, pas rare, son style. Non. »
Le poète Stéphane Mallarmé, quant à lui, évoquera la mort de Maupassant dans un texte intitulé « Deuil », paru en septembre 1893 dans la revue littéraire Le Mercure de France.
« Je songeais à beaucoup de cela, durant l’office mortuaire, ce midi récent de tristesse, comme pour dégager son sens, avec le plus de futur, d’une destinée superbe brusquée. Sans m’appliquer même, tant de malaise envahissait une directe évaluation du confrère accablé que nous honorions, positivement à mettre debout dans l’ensemble sa personnalité et son œuvre : n’ai-je pas, en effet, pour suivre un trait spécial, omis les livres de grand jet qui illustrèrent de derniers ans (dont les seuls titres parlent fier, d'Une Vie, à travers Pierre et Jean et Fort comme la Mort, jusqu’au fatidique Horla).
Série qui se fût indéfiniment prolongée, égale, avec des fuites au Théâtre. Je me disais aussi, évoquant la première manière, celle-là qui peut-être sera classique, du conteur, avant que ne l’amplifiât et ne l'inquiétât le romancier — que, ce qui manquait, si l’on réclame d’un genre l’opposition de qualités exclusives et pourquoi ? à ce talent savoureux, clair, robuste comme la joie et borné comme elle au don (seul enviable, il suffit) : un au-delà angoissé ou subtil, quelques exaltations, la teinte lui en fut attribuée tragiquement à même l'existence, tôt, par la fatalité qui changea l’homme le plus sain et l’esprit le plus net coup sur coup en un dément et en un mort.
Stéphane Mallarmé. »
Le service funèbre eut lieu le 8 juillet 1893, à midi, à l'église Saint-Pierre de Chaillot dans le 16e arrondissement. Parmi les personnalités présentes, Zola, Alexandre Dumas fils, Edmond de Goncourt, Octave Mirbeau, Mallarmé... C'est Zola, à nouveau, qui rend hommage à son ami défunt dans une oraison émue retranscrite ensuite par les journaux :
« Ce qui nous frappait, nous qui suivions Maupassant de toute notre sympathie, c'était cette conquête si prompte des cœurs. Il n'avait eu qu'à paraître et qu'à conter ses histoires, les tendresses du grand public étaient aussitôt allées vers lui. Célèbre du jour au lendemain, il ne fut même pas discuté, le bonheur souriant semblait l'avoir pris par la main pour le conduire aussi haut qu'il lui plairait de monter.
Je ne connais certainement pas un autre exemple de débuts si heureux, de succès plus rapides et plus unanimes. On acceptait tout de lui ; ce qui aurait choqué sous la plume d'un autre, passait dans un sourire. Il satisfaisait toutes les intelligences, il touchait toutes les sensibilités, et nous avions ce spectacle extraordinaire d'un talent robuste et franc, sans concession aucune, qui s'imposait d'un coup à l'admiration, a l'affection même de ce public lettré, de ce public moyen qui, d'ordinaire, fait payer si chèrement aux artistes originaux le droit de grandir à part [...].
Qu'il dorme donc son bon sommeil, si chèrement acheté, confiant dans la santé triomphante de l'œuvre qu'il laisse ! Elle vivra, elle le fera vivre. Nous qui l'avons connu, nous resterons le cœur plein de sa robuste et douloureuse image.
Et, dans la suite des temps, ceux qui ne le connaîtront que par ses œuvres l'aimeront pour l'éternel chant d'amour qu'il a chanté à la vie. »
–
Pour en savoir plus :
Frédéric Martinez, Maupassant, Gallimard, 2012
Marlo Johnston, Guy de Maupassant, Fayard, 2012
Nadine Satiat, Guy de Maupassant, Flammarion, 2003
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